Xavier Allard
Arctique
20 août
8 septembre 2025
Xavier Allard
Arctique
Christian Kempf
Président Fondateur de Grands Espaces
François Leloustre
Groenland
Maxime Barthelme
Photographie Polaire
Hélène Le Berre
Ethologue
Fabrice Capber
Guide Polaire
Pierre Taverniers
Arctique et Changement Climatique
Certaines photos photos d’illustrations ont été prises lors de précédentes croisières en Arctique. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
À Ilulissat, l’épaisse brume qui l’avait englouti s’est enfin complètement dissipée. L’Ocean Nova, ancré au large, attend ses derniers passagers. Partis d’Islande tôt le matin, ils survolent l’inlandsis groenlandais à bord d’un petit avion à hélice.Pour ceux déjà à bord, c’est l’heure du petit-déjeuner, suivi d’une introduction à la ville par Pierre Tavernier, guide expert de la région. Puis, le groupe se prépare à descendre à terre pour découvrir Ilulissat — « les icebergs » en kalaallisut.
On découvre une communauté vibrante, nichée entre mer et glace, dominée par la présence majestueuse du fjord glacé classé à l’UNESCO. Ici, le glacier Sermeq Kujalleq déverse inlassablement d’immenses icebergs qui dérivent ensuite vers la baie de Disko. Avec environ 4 500 habitants et autant de chiens de traîneau, Ilulissat est la troisième plus grande ville du territoire et combine une modernité relative à des traditions inuites encore bien vivantes. Si l’économie locale est encore largement rythmée par la pêche, pilier historique de la communauté, le tourisme est devenu un moteur économique majeur. Les visiteurs qui s’y aventurent peuvent ainsi découvrir la riche culture inuite au musée local, admirer l’iconique église rouge, rapporter des tupilaks taillés par des artisans locaux, ou simplement s’imprégner de l’atmosphère unique de cette région en suivant le sentier bleu de Sermermiut jusqu’à un point de vue qui offre un spectacle impressionnant sur les icebergs.

Au déjeuner, tout le monde est enfin réuni, et l’Ocean Nova lève l’ancre pour s’engager dans le sillage des grands explorateurs polaires, en route pour le légendaire passage du Nord-Ouest.
Dans l’après-midi, les zodiacs sont mis à l’eau pour une approche prudente des icebergs de la baie de Disko. On prend son temps pour observer ces géants de glace aux formes sculpturales, striés de bleu et creusés par le vent et la mer.

De retour à bord, la navigation se poursuit dans la baie, au milieu d’icebergs, certains imposants comme des cathédrales. Notre chef d’expédition, Xavier Allard, nous dévoile le programme du lendemain : une exploration de la baie de Baffin et une immersion au cœur des communautés qui l’habitent. La soirée se poursuit ensuite avec le traditionnel cocktail de bienvenue du commandant, suivi de la présentation de notre équipe de guides-conférenciers.
La journée s’achève autour d’un excellent repas, dans une ambiance conviviale et promise à l’aventure. On va se reposer, impatient de découvrir ce que le lendemain va offrir.
Cette journée nous mène plus au Nord, à 70°50’ de latitude Nord précisément, dans le fjord d’Uummannaq. La nuit fut légèrement houleuse et brumeuse mais c’est sous le soleil et sur une mer calme que nous pénétrons dans la baie d’Uummannaq à 7h du matin. Nous nous dirigeons vers un village du même nom, mais il nous reste encore 5 heures de navigation pour l’atteindre.
En route, nous prenons le temps de petit-déjeuner puis de visiter l’un des plus petits villages du Groenland : Niaqornat. Le nom de ce village pittoresque signifie « qui est en forme de tête » en référence à la roche arrondie au pied de laquelle il a été établi. Les quelques 30 habitants qui y vivent pratiquent essentiellement la pêche au flétan, mais également un peu de chasse au renne, au phoque et parfois au morse. Nous baignons littéralement dans une image de carte postale, l’endroit est magnifique. Les maisons colorées, les chiens groenlandais, les habitants… nous font plonger dans un exotisme polaire singulier. Nous poursuivons ensuite notre route vers Uummannaq. Au cours du trajet, notre regard se porte sur les beaux paysages qui défilent devant nous, toujours jalonnés de grands icebergs immaculés çà et là contrastant sublimement avec les falaises sombres en arrière-plan. Devant Niaqornat, l’un d’entre eux s’était soudainement retourné sous nos yeux ébahis.
Après le déjeuner, nous posons pied à terre à Uummannaq ou Ũmának comme les Danois avaient nommé cette colonie lors de sa création en 1763. Cette petite localité de 1390 habitants se situe sur une île de 12 km2 surplombée par une dent rocheuse culminant à 1170 m à l’aspect particulier, celui d’un cœur. C’est cette forme qui a donné son nom groenlandais à la commune, à l’île et au fjord que nous avons parcouru pour nous y rendre ; en effet, Uummannaq signifie « en forme de cœur ». Le cœur est un symbole et une décoration traditionnelle au Groenland, notamment pendant les fêtes.

La population d’Uummannaq vit essentiellement de la pêche au flétan. Nous constatons l’importance de cette activité dès notre arrivée au port où bateaux et bâtiments liés à l’industrie de la pêche sont bien visibles. La visite du village et de ses environs se fait en divers groupes selon le souhait des uns et des autres de marcher plus ou moins. Certains passeront l’après-midi dans les ruelles du vieux village, d’autres iront plus loin sur les hauteurs pour admirer le paysage environnant, les icebergs alentours et cette impressionnante dent cordée surplombant la ville. Un village tout en montée qui a mis à rude épreuve nos mollets, notamment en raison des nombreux escaliers qu’il a fallu gravir. Ce pic rocheux ceinturé de maisons colorées nous a offert une image tout à fait unique et marquante qui ne peut que susciter pour tout un chacun un sentiment d’irréel. Il est à noter de surcroît que le seul orphelinat du Groenland est situé dans cette commune, tout comme l’unique église en pierre du pays !
Au cours de l’approche d’Uummannaq, puis dans son port et encore lors de la navigation après avoir quitté le village, des souffles de baleines ont été aperçus. Il s’agit de petits rorquals et rorquals communs, deux cétacés du genre Balaenoptera mais de tailles différentes : 10 m pour le premier contre 27 m pour le second. Cette douce navigation de fin d’après-midi sous un ciel radieux est très plaisante.

Le récapitulatif et les informations pour la suite de la croisière sont présentés en fin de journée. Christian nous parle de l’Allemand Alfred Wegener connu pour la théorie de la dérive des continents, mais il était également un grand explorateur polaire. Il a notamment séjourné dans la région d’Uummannaq à partir de laquelle il est parti installer Eismitte, une station polaire au centre de la calotte à 400 km de la côte entre 1929 et 1931. Quant à Pierre, il nous conte une histoire de momies datant de 1475 environ (six femmes et deux enfants) découvertes à Qilakitsoq en 1972, non loin d’Uummannaq. Leur excellent état de conservation a permis d’en connaître plus sur l’époque thuléenne. Pierre complète son intervention en nous expliquant ce qu’est un « tupilak », un objet maléfique mi-humain mi-animal fabriqué pour nuire à autrui. Puis Xavier nous présente le programme du lendemain.
Cette belle journée nous a permis de ressentir pleinement l’atmosphère groenlandaise, entre paysages arctiques, villages colorés et icebergs géants.
Nous débarquons à Upernavik, située à environ 72°N, au cœur d’un archipel de plus de 100 îles. C’est un lieu très isolé, accessible uniquement par avion ou par bateau en été. La ville compte environ 1 000 habitants, vivant principalement de la pêche au flétan. En 1772, les Danois y fondèrent un poste colonial, faisant d’Upernavik la colonie européenne la plus au nord du monde à cette époque.
Son nom signifie littéralement « le lieu où l’on passe le printemps ». Les Danois installèrent ici un petit comptoir commercial et une mission religieuse. À l’époque, ils venaient chercher surtout : la graisse et l’huile de phoque, indispensables pour l’éclairage en Europe, les peaux de morse et de phoque destinées à l’exportation. Plus tard, c’est la pêche au flétan qui deviendra la principale ressource de la ville.
Pour permettre à chacun de profiter de la visite à son rythme, nous avons formé trois groupes de marcheurs. Les plus grands marcheurs sont montés jusqu’à l’aéroport, profitant d’une vue panoramique magnifique : d’un côté, la ville d’Upernavik, et de l’autre, un superbe champ d’icebergs.

Tous les passagers ont pu admirer et photographier la belle église d’Upernavik, une charmante construction en bois rouge, typique du Groenland. Ici, comme dans beaucoup de villages du pays, l’église n’est pas seulement un lieu religieux, mais aussi un lieu de rassemblement essentiel pour la communauté.
Nous avons ensuite visité le musée d’Upernavik, installé dans d’anciens bâtiments coloniaux. L’exposition présentait la chasse au phoque, à l’ours, la pêche, et plus largement la vie traditionnelle inuite. On peut y voir des outils anciens, des kayaks, ainsi que des objets religieux datant de la mission luthérienne.
Derrière le musée, sur les hauteurs, se trouve le cimetière. C’est là que repose Navarana Mequpaluk, la première femme de l’explorateur danois Peter Freuchen, célèbre pour ses expéditions avec Knud Rasmussen. Navarana, originaire de Thulé, a joué un rôle essentiel dans ces aventures grâce à sa connaissance de la chasse, de la couture des vêtements en peaux et de la vie en Arctique.
En 1921, elle mourut de la grippe espagnole, qui dévasta de nombreuses communautés inuites. Sa tombe reste aujourd’hui un lieu de mémoire émouvant, rappelant la rencontre entre deux mondes : celui des explorateurs européens et celui des Inuits.
À 14h, nous repartons en zodiac vers l’îlot de Kingittorsuaq. Bien que les colonies norroises se soient concentrées plus au sud, une découverte exceptionnelle y a été faite : une pierre runique médiévale, gravée par trois Norvégiens. Érigée au sommet de cairns, elle témoigne que les explorateurs vikings ont poussé leurs voyages encore plus au nord qu’on ne l’imaginait, atteignant ces latitudes extrêmes au-delà d’Upernavik. L’église d’Upernavik, avec sa girouette en forme de drakkar, nous rappelle elle aussi cette mémoire viking.
Mais Kingittorsuaq n’est pas seulement un site historique : c’est aussi un sanctuaire naturel. L’îlot abrite une importante colonie de guillemots à miroir, un petit alcidé (famille des pingouins). Ce bel oiseau marin a un plumage noir marqué d’une tache blanche bien visible sur chaque aile, le fameux « miroir » qui lui a donné son nom. Très agile, il vole rapidement et peut plonger jusqu’à 40 mètres de profondeur pour capturer poissons et crustacés.

Grâce à ses falaises abruptes et à ses crevasses rocheuses, Kingittorsuaq est un site idéal pour la nidification. Observer les guillemots fendre l’air ou plonger dans l’eau glacée, c’est assister à l’un des spectacles naturels emblématiques de l’archipel d’Upernavik.
Après ces 2 belles sorties, la journée se termine par un récap de Fabrice sur les icebergs ainsi qu’une présentation de la plaque runique par Pierre et enfin quelques explications sur l’importation des moyens de subsistance pour les communautés inuites.
En mer. Durant la nuit l’Ocean Nova a fait route vers l’ouest et parcouru 170 NM (320 KM). Nous nous trouvons par 72°N et 65 ° W et sommes entrés dans les eaux territoriales canadiennes. Le drapeau à la feuille d’érable a remplacé celui du Groenland en tête de mât. Nous avons reculé nos montres de 2 heures. A 7h20 Xavier nous réveille pour nous signaler un très bel iceberg par tribord, l’un des plus beau depuis notre début de croisière, sculpture monumentale de 3 tours ou pitons, aux sommets desquels sont perchées des mouettes tridactyles. Le navire ralentit et fait lentement le tour de l’iceberg, permettant d’admirer ce joyau sous toutes ses facettes, sous la belle lumière du lever du jour, par une température très clémente de 10°C.

En matinée François donne une conférence intitulée « Trois regards sur le Groenland », puis Laurent propose une « Introduction à la photographie » et donne des informations sur le concours photo de notre croisière. L’après-midi le ciel se couvre, le vent forcit, la mer grossit et les conditions de navigations deviennent plus musclées. Xavier donne une conférence sur « Les courants marins ». En fin de journée a lieu la projection du film « Les noces de Palo » écrit par le célèbre ethnologue Knud Rasmussen, tourné en 1933 chez les Inuit d’Angmagssalik (Groenland oriental). Il permet de découvrir la vie quotidienne de ces Inuit avant la colonisation, et de voir comment étaient utilisés les kayaks, umiaks et instruments de chasse que nous avions vus au musée d’Upernavik.
Depuis que l’Ocean Nova navigue entre l’île Bylot et l’île Baffin, la houle s’est estompée et, vu le décalage horaire, nombreux sont ceux qui, dès 6 heures du matin, admirent et photographient les lumières du soleil se levant sur les sommets et les glaciers. Nous sommes dans le Pond Inlet, bras de mer à qui John Ross, en 1818, donna le nom de John Pond, astronome royal, directeur de l’observatoire de Greenwich.

En 1921, la Compagnie de la Baie d’Hudson ouvrit un comptoir à cet endroit et le village ainsi créé s’appela Pond Inlet. C’est notre porte d’entrée au Canada et, dès 8 heures, des officiers des douanes et de la police montent à bord pour vérifier que le navire et tous ses occupants peuvent pénétrer au Canada.
Ces formalités effectuées, nous pouvons débarquer et visiter cette communauté inuite de 1700 habitants. Nous nous divisons en plusieurs groupes menés par des guides locaux qui nous expliquent l’histoire du lieu et la vie de ses habitants. Pour les Inuits qui parlent l’Inuktitut, ce n’est pas Pond Inlet mais Mittimatalik, l’endroit où Mittima est enterré.
Cette visite se termine dans la grande salle commune où nous sommes accueillis par une chorale en costume traditionnel interprétant l’hymne du Nunavut. Puis, nous assistons à une démonstration de jeux inuits auxquels participe Fabrice, notre guide intrépide. Se succèdent ensuite danses de tambour (nous remarquons que le tambour du Nunavut est bien plus grand que celui du Groenland) et chants de gorge inuits interprétés par deux femmes se relançant dans un duel vocal. Hélas, il nous faut quitter cette communauté si attachante et reprendre le chenal de Pond pour nous diriger vers le sud car le détroit de Lancaster est, aujourd’hui et demain, balayé par des vents très forts et contraires.
Après le déjeuner, Pierre nous propose une conférence sur le Nunavut dont il rappelle la création en 1999 et dont la superficie d’environ deux millions de km2 en fait un territoire presqu’aussi grand que le Groenland. Sa population de moins de 40000 habitants est composée à plus de 80% par des Inuits descendant de la dernière migration, celle dite des Thuléens venant d’Asie par le détroit de Behring. Lors de la colonisation par le Canada, cette population semi-nomade a été sédentarisée de force souvent brutalement comme lors de la campagne d’extermination des chiens ou de transferts (déportation) de communautés. Il termine en nous parlant de la fleur emblématique du Nunavut: la saxifrage à feuilles opposées, l’une des premières plantes arctiques à fleurir au printemps, dont les tiges et les feuilles peuvent être utilisées pour faire du thé.
Xavier nous invite ensuite à une sortie zodiac dans le fjord Erik Harbour (Kangiqlugaapik), décor de rêve, entouré de montagnes et de glaciers éclairés d’un magnifique soleil bas sur l’horizon. Soudain, Maxime nous appelle par radio: un ours!! Ce caillou blanchâtre au loin s’est levé et nous l’observons longtemps à travers nos jumelles et nos téléobjectifs. Avant de regagner le navire, nous longeons le glacier strié comme du marbre d’où s’écoulent de nombreuses cascades étincelantes.

Après le dîner, Xavier nous convie au pont 5 où il a installé sa longue vue qui nous permet de revoir l’ours une dernière fois. Nombreux sont ceux qui restent sur ce pont ou au salon d’observation pour admirer les lumières du soleil couchant.
Aujourd’hui, le réveil fut très matinal, annoncé par notre chef d’expédition, Xavier. Nous nous trouvions dans le fjord North Arm, au Nunavut, sur la côte nord-est de l’île de Baffin.
À 6h15, nous avons embarqué à bord des zodiacs pour longer le fjord. Le vent était froid et mordant, nous rappelant que l’été polaire touchait à sa fin. Les rayons du soleil n’éclairaient pas encore le fond du fjord, mais ils illuminaient les sommets, leur conférant une couleur dorée presque éthérée.
C’était un fjord étroit aux falaises escarpées, où de nombreuses langues glaciaires descendaient des hauteurs pour rejoindre les eaux froides. Nous semblions seuls au monde ; aucun bruit ne perçait, hormis celui de nos moteurs. Aucun avion ne survolait la zone, aucune cabane n’était visible au loin. Pourtant, l’endroit n’était pas aussi désert qu’il y paraissait : devant notre zodiac, un souffle apparut… ce sont des narvals !

Nous avons tenté de les suivre, mais ces animaux farouches, chassés par les populations inuites, s’enfuirent rapidement. Capables de plonger à 1 500 mètres de profondeur pendant vingt minutes, ces mammifères marins se distinguent par leur longue dent frontale, évoquant une corne de licorne. Emblématiques des régions polaires, ils sont particulièrement associés à ces fjords du Nunavut, qui abritent l’une de leurs plus importantes populations.
Nous sommes rentrés à bord pour un petit-déjeuner bien chaud, tandis que l’Ocean Nova mettait le cap au nord en direction de Coutts Inlet.
Peu après, nous nous sommes préparés pour une nouvelle excursion, cette fois à terre, afin de mettre pied sur l’île de Baffin. D’une superficie de plus de 500 000 kilomètres carrés, celle-ci est la plus vaste de l’archipel arctique canadien et borde le passage du Nord-Ouest.
La météo était clémente ; l’air s’était réchauffé par le soleil, et on été abrités du vent. Nous avons débarqué sur une plage de sable fin aux eaux limpides — on était presque tenté d’y tremper les pieds, jusqu’à ce que l’on se souvienne qu’elles étaient à zéro degré ! Certains d’entre nous ont longé le rivage où un phoque du Groenland, curieux, s’est approché et a pu être observé de près. Un autre groupe a marché sur le mollisol, cette couche superficielle de la toundra qui dégèle brièvement en été, permettant l’épanouissement d’une végétation basse de mousses, de lichens et d’arbustes nains. En profondeur, le sol demeurait gelé, c’est le pergélisol. Par endroits, nous traversions aussi des dépressions humides où se décompose la matière organique végétale : les tourbières. Une fois en hauteur, nous avons profité d’une superbe vue sur les sommets impressionnants qui bordent les fjords et sur la rivière glaciaire qui serpente vers la mer.
Les yeux encore emplis de ces paysages grandioses, nous sommes retournés à bord pour le déjeuner. L’ancre fut rapidement levée et nous avons repris notre navigation vers le nord, en direction de l’île de Devon, à travers le détroit de Lancaster. Ce passage crucial relie la mer de Baffin à l’ouest et l’océan Arctique à l’est, formant l’entrée orientale du passage du Nord-Ouest.
À la sortie du fjord North Arm, une rencontre extraordinaire nous attendait : des baleines franches du Groenland (ou baleines boréales). Une observation privilégiée, car il ne reste plus qu’une centaine d’individus dans le monde, leur population ayant été décimée par des siècles de chasse intensive pour leur huile et leur fanon.
À 15h, Christian Kempf, fondateur de Grands Espaces, nous a offert une conférence magistrale sur les régions polaires. L’Arctique et l’Antarctique partagent un climat extrêmement froid, de vastes étendues de glace et une biodiversité adaptée à ces conditions hostiles — comme les ours polaires au nord et les manchots au sud. Mais les similitudes s’arrêtent là. L’Arctique est un océan de glace entouré de continents, tandis que l’Antarctique est un continent glacé entouré par un océan, avec une géopolitique totalement distincte. L’Arctique lui-même n’est pas une entité homogène : il s’agit d’une vaste région circumpolaire partagée entre huit pays, regroupées au sein du Conseil de l’Arctique, chacune avec son identité culturelle, ses paysages et sa faune distincts. Christian nous a fait rêver avec des photos à la fois magnifiques et surprenantes de ces territoires.
Peu après, à 16h, Laurent, photographe passionné depuis plus de quarante ans, a animé un atelier dans la bibliothèque. Tous les niveaux étaient les bienvenus, du débutant souhaitant apprendre les bases à l’expert désireux de se perfectionner.
Puis à 17h, nous nous sommes retrouvés au salon panoramique pour une conférence de François sur l’histoire des régions que nous découvrions. Celle-ci est longue et complexe, mais pour résumer : la terre de Baffin et le détroit de Davis doivent leurs noms aux explorateurs anglais du XVIIe siècle William Baffin et John Davis, qui cherchaient le passage du Nord-Ouest. John Davis fut le premier, en 1585, à explorer et cartographier la région qui porte désormais son nom. Trente ans plus tard, William Baffin navigua plus au nord encore, cartographiant avec une précision remarquable pour l’époque la côte orientale de l’immense île. Leurs voyages, bien qu’infructueux dans leur quête initiale, ont laissé un héritage cartographique essentiel et ont immortalisé leurs noms sur les cartes de l’Arctique.
La journée s’achève par un récapitulatif des deux derniers jours : Christian nous a parlé de ses expéditions dans les terres polaires du Nunavut et des ours observés la veille, tandis qu’Hélène nous a présenté un bel exposé sur les cachalots.
Après le dîner, pour ceux qui tenaient encore debout après cette belle et longue journée, le documentaire « Camp Century, une base secrète sous la glace » est projeté dans le salon panoramique. Le reste des passagers s’endort, bercé par le navire qui poursuit sa route vers le passage du Nord-Ouest.
Ce matin, nous nous réveillons avec une mer formée et un vent de face qui rendent la navigation difficile. Face à ces conditions, le chef d’expédition prend la décision de modifier notre cap pour mettre le cap à l’est de l’île Devon. Ce choix rend la navigation plus agréable et permet une arrivée en début d’après-midi, plutôt qu’en soirée, ouvrant ainsi la possibilité de profiter d’activités dès notre arrivée.
La matinée est ensuite rythmée par deux conférences enrichissantes. Laurent, notre médecin de bord, nous présente « L’homme et le froid », une intervention marquante qui illustre l’impact du froid sur le corps humain et la manière dont nous nous adaptons à cet environnement extrême. Puis Xavier nous entraîne dans l’univers fascinant de la botanique arctique : à travers de nombreux exemples de fleurs, il nous fait découvrir l’incroyable diversité et l’ingéniosité de la vie végétale dans ces régions polaires.
Après le déjeuner, nous embarquons pour une croisière en zodiac dans la baie de Bethune et le long des côtes de l’île de Philpots. Le froid est saisissant, la neige tombe, et les paysages semblent s’être réduits à une palette de noir et blanc. Nous longeons les rivages dans l’espoir d’apercevoir un ours, mais ce dernier restera discret aujourd’hui. En revanche, la faune marine se montre généreuse : morses, phoques barbus, phoques du Groenland et un phoque annelé viennent animer notre sortie.

Dans le ciel et sur l’eau, de nombreux oiseaux complètent le spectacle, parmi lesquels des guillemots, des eiders et des plongeons catmarins. Sur le chemin du retour, nous longeons un impressionnant mur de glace provenant de la calotte de l’île Devon, avant de regagner l’Ocean Nova pour nous réchauffer après cette sortie particulièrement froide.
La fin de journée est consacrée aux conférences et aux partages de savoir. Pierre nous présente l’histoire des Oblats de Marie Immaculés, missionnaires venus convertir les Inuits au catholicisme. Fabrice prend ensuite le relais avec un récapitulatif passionnant sur la baleine franche, avant que Xavier ne conclue avec un point détaillé sur l’itinéraire prévu pour demain. La journée s’achève enfin autour d’un dîner convivial et d’un repos bien mérité, après tant de découvertes.
En ce huitième jour d’aventures polaires, nous continuons l’exploration des côtes de l’île Devon, cette immense île totalement inhabitée. Nous la longeons par le sud et nous nous dirigeons vers l’ouest depuis hier soir, via le détroit de Lancaster, vers ce mythique passage du Nord-Ouest que nous sommes venus découvrir. L’île Devon fait partie des endroits les plus rudes de l’Arctique. Les paysages ruiniformes qu’elle nous offre laissent ressentir sans ambiguïté l’isolement et l’aridité de cette île glaciale isolée et ventée où la simple survie relèverait de l’exploit. L’île Devon est un haut lieu de l’histoire inuite, mais également d’expéditions polaires. En effet, les archéologues ont mis au jour des objets âgés de 4000 ans prouvant notamment que les Inuit et les Vikings groenlandais se sont côtoyés. Divers objets (cordes, pipes, vêtements, …) de la dramatique expédition Franklin de 1845 y ont été découverts en 1850. De manière plus contemporaine, la gendarmerie royale du Canada a voulu planter son drapeau sur l’île Devon en 1924. Pour ce faire, trois officiers furent envoyés à Dundas Harbour. La fin fut également tragique puisque deux officiers y moururent, l’un s’étant suicidé et l’autre s’étant accidentellement tué avec sa propre arme. Le poste fut fermé en 1951.
Notre navigation au petit matin le long des côtes de Devon est fantastique. Un vent glacial fait gîter l’Océan Nova, ce qui nous fait vivre cette ambiance polaire pleinement. Les paysages qui défilent sont à la fois austères et beaux. Ces falaises stratifiées de schistes et ces gneiss d’un demi-milliard d’années parcourues par les lignes blanches d’un saupoudrage neigeux fraîchement tombé sur les corniches, sont saisissantes. L’entrée dans le fjord de Cuming prolonge l’enchantement avec ces sommets blancs et ces langues de glaciers. Et surprise, un ours est repéré par Hélène, nous allons à sa rencontre avec nos yeux attentifs. Il se repose sur une petite falaise en économie d’énergie en cette période de disette estivale. Sans doute rêve-t-il du retour de la banquise et de phoques annelés dont il raffole. Peu de temps après et pendant une courte causerie de Christian sur la géologie du site et le premier ours observé, un second ours apparaît, quelle chance ! Il nage le long de la côte puis sort de l’eau avant de remonter tranquillement sur les hauteurs et de s’éloigner définitivement. Quelques groupes de phoques du Groenland, des pinnipèdes sociaux et pélagiques, nagent çà et là et agrémentent ces belles observations ursines. En passant une seconde fois devant notre premier ours du jour, nous réalisons qu’il s’est approché de la mer. Xavier décide de nous emmener à sa rencontre en zodiac et à bonne distance. Quel animal magnifique, le roi du Nunavut. Nous l’observons pendant plus d’une heure, se déplaçant, puis se posant sur une roche à l’affût de la moindre opportunité alimentaire. Tantôt il mange un peu d’herbe, tantôt il boit dans des creux de roche. Un spectacle naturaliste de premier ordre !
L’après-midi, notre navigation nous mène dans le fjord Powell plus à l’Ouest. Nous parcourons ce fjord en mode croisière en admirant les sublimes paysages qui se déroulent lentement de part et d’autre de l’Ocean Nova. Les guides continuent la quête d’ours et autres animaux. Quelques phoques du Groenland et morses sont aperçus à la nage. Pendant cette navigation douce, Fabrice nous parle de l’ours blanc en général, de sa vie sous ces hautes latitudes, des menaces qui pèsent sur lui, de son avenir sur une planète en surchauffe.
En fin d’après-midi, nous continuons notre voyage toujours plus à l’Ouest le long de l’île Devon. Nous atteignons le fjord de Burnett à 18h. La navigation panoramique s’y poursuit pour notre plus grand plaisir. Nous restons continuellement à l’affût de toute vie sauvage.
Puis c’est déjà l’heure de la réunion d’information et des récapitulatifs, la journée est passée si vite. François nous parle avec poésie du flocon de neige et Fabrice revient sur l’un des phoques observés ces derniers jours, le phoque barbu, le plus gros phoque de l’Arctique, certains individus pouvant dépasser les 400 kg.
En soirée et toute la nuit, l’Ocean Nova s’enfonce encore plus profondément dans la passage du Nord-Ouest.
Une dépression générant des vents violents gagnant par le sud nous avons mis le cap au nord-est depuis hier au soir. Au lever du jour nous sommes dans le détroit de Lancaster, la température est de 2 degrés et le vent souffle de l’ouest à 15 nœuds.
En matinée Xavier donne une conférence sur la tragique expédition Franklin, partie d’Angleterre en 1845 à bord des HMS Terror et Erebus, et qui disparut dans le passage du Nord-Ouest avec ses 129 hommes. A partir de 1848 de nombreuses expéditions partirent à sa recherche. En 1851 les tombes de trois marins furent découvertes à l’île Beechey. Puis un message trouvé dans un cairn indiqua que les navires furent bloqués dans les glaces durant deux années près de l’île du Roi Guillaume. Franklin était décédé en 1847. Les survivants abandonnèrent les navires pour tenter de gagner à pied la rivière Back. Des Inuit témoignèrent avoir croisé ces hommes épuisés et affamés. Des cas d’anthropophagie furent constatés. Grâce aux indications des Inuit les épaves des HMS Terror et Erebus purent être localisées en 2014 et 2016, gisant à peu de profondeur.
En fin de matinée Pierre présente un film d’animation réalisé avec les lithographies de l’artiste inuit Davidialuk Amituu, illustrant un conte : une femme, emportée en mer par un béluga, voit ses cheveux s’enrouler et former une longue dent, donnant naissance au premier narval. Puis Hélène nous parle de l’écologie de cet animal ainsi que du narluga, hybride issu d’un narval et d’un béluga. Enfin Fabrice nous présente la classification animale et la paléontologie afférente au narval.
Vers midi nous entrons dans la baie Crokker, naviguons jusqu’au fond du bras ouest occupé par un beau glacier. Une croisière zodiac nous permet de longer les 3,5 km de ce front de glace, d’admirer les séracs, tours, grottes, de faire le tour des icebergs, sous le soleil. Puis le bateau se déplace vers le bras est, occupé par un autre glacier dont on peu voir, grâce aux belles conditions météorologiques, la partie supérieure remontant jusqu’à la calotte (la 3ème plus grande après celles de l’Antarctique et du Groenland). Nous envisageons un débarquement sur la toundra tout proche mais un ours est aperçu, à quelque distance de la côte. Nous effectuons donc une croisière zodiac, observons d’abord cet ours puis longeons la côte vers le sud. Nous voyons une cinquantaine d’hareldes boréales, des eiders à duvet, apercevons au loin un lièvre arctique. Dans la mer beaucoup de plancton et des petites méduses, attirant quantité de pétrels fulmar. Au fond d’une anse abritée la mer a gelé et l’on peut admirer les aiguilles imbriquées du frazil et une fine couche de glace vitrée.
Profitant d’une météo particulièrement clémente, ensoleillée et sans vent, nous ne rentrons à bord que pour le dîner. Depuis le bateau on peut voir que l’ours aperçu tout à l’heure est une ourse accompagnée de deux oursons ! Enfin le coucher de soleil, au-dessus des reliefs sédimentaires enneigés de l’île Devon, ornés de beaux altocumulus lenticulaires, est magnifique.
Après le dîner Xavier nous présente le programme du lendemain et l’Ocean Nova met le cap au sud-est.
Hier soir, l’Ocean Nova a quitté à regret l’île Devon en longeant Dundas Harbour où furent déplacés 52 Inuits qui durent y rester 13 ans, de 1934 à 1947, afin d’affirmer la présence canadienne sur cette île inhabitée.
Pendant la nuit, nous avons traversé le détroit de Lancaster et, ce matin, l’île Bylot nous présente ses côtes et ses sommets enneigés. À 9h30, nous sommes tous réunis au salon d’observation pour écouter la grande saga de l’Arctique contée par Christian. Impossible à résumer: les Peuples Premiers de l’Arctique, les Découvreurs du Groenland à la Sibérie et l’Alaska, les baleiniers, les colonisations canadiennes, danoises et russes, les conquêtes du Pôle Nord, les ressources souterraines. Christian termine en expliquant la militarisation de l’Arctique.
À 11 heures, c’est au tour de Pierre de revenir sur l’expédition Franklin et du seul français qui y participa: Joseph-René Bellot. Grâce à ses bons résultats scolaires, la ville de Rochefort où il habitait depuis l’âge de 5 ans, subventionna ses études au collège jusqu’à son entrée à l’École Navale de Brest. En 1851, après avoir écrit à Lady Franklin puis l’avoir rencontrée, il fut engagé pour participer aux recherches de l’expédition Franklin dont on était sans nouvelle depuis 6 années. C’est le 17 août 1853, non loin de l’île Beechey où nous étions avant-hier, alors qu’il portait un message pour l’amiral Belcher, qu’il disparut entre deux plaques de glace. Il avait 27 ans. Seul son bâton fut retrouvé.
Pendant ces conférences, poussé par le vent et les courants, l’Ocean Nova poursuivait sa route vers le fjord Buchan et c’est maintenant l’île Baffin que nous observons, à tribord, et qui nous présente, elle aussi, ses côtes et ses sommets enneigés.
Après le déjeuner, à 15 heures, notre vétérinaire dynamique, Fabrice, commence sa causerie maritime: le zooplancton. Du grec zôion, animal, et planktos, errant comme pour planète (astre errant), le zooplancton est un animal se nourrissant de matière vivante. Les méduses, les copépodes, les anges de mer, le limacina helicina ou papillon des mers (son préféré) sont autant de raisons de nous expliquer le réseau trophique, c’est à dire la résultante de l’ensemble des chaines alimentaires unissant les populations marines.
Après une pause boisson chaude et petits gâteaux, est projeté le film «Nanook of the North» que tourna Robert Flaherty en 1920-1921. Juste avant la célèbre séquence de l’igloo, Hélène aperçoit un groupe d’orques et nous nous précipitons aussitôt côté bâbord puis tribord pour admirer le spectacle extraordinaire qui nous est offert. Les mâles sont reconnaissables à leur grande nageoire dorsale pouvant atteindre parfois près de deux mètres de hauteur. Le groupe observé semble être formé de deux mâles, de quatre ou cinq femelles et de plusieurs jeunes. Pendant plus d’une demi-heure, ces mammifères escortent l’Ocean Nova se rapprochant parfois à quelques mètres de nous. Mais il nous faut reprendre la route vers le sud et tourner le dos à ce vent défavorable.

La projection peut alors reprendre. Le film à peine terminé, sonne déjà l’heure de la «récap». Bien sûr, nous sont exposées les caractéristiques de cette espèce de mammifères marins, du sous-ordre des odontocètes, la plus grande des Delphinidés. L’orque, appelée également épaulard, est qualifiée par les anglophones de baleine tueuse, killer whale. Mais n’oublions pas que les orques sont fortement sociables, qu’elles vivent en groupe et que certaines populations sont composées de plusieurs familles matrilinéaires qui sont parmi les plus stables de toutes les espèces animales.
Après le dîner, le navire reste immobile au milieu du fjord Buchan nous permettant d’admirer les sommets rougeoyants avant que la nuit se fasse. Certains restent tard au salon d’observation espérant des aurores boréales tandis que d’autres vont se coucher en se donnant rendez-vous à cinq heures demain matin pour admirer les belles lumières du lever de soleil.
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Messages
A l’attention de francoise Termat
Bonjour francoise
A st martin tout va bien hormis les orages
Profite bien
A très bientôt