Si vous traversez un jour la ville d’Oslo, vous tomberez peut-être sur ces grands tableaux en bois qui ornent l’entrée de l’hôtel de ville, une série de bas-reliefs assez rustiques représentant des personnages haut en couleur, des animaux géants, des arbres et des scènes énigmatiques. Vous voilà plongés en pleine mythologie nordique ! Un héritage direct de la Scandinavie ancienne. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’en finit pas de fasciner le public contemporain : on ne compte plus le nombre de films à succès, de compositions musicales, de bandes-dessinées, de romans et de jeux vidéos qui s’en inspirent directement. C’est qu’on la connaît assez bien, la mythologie nordique ! Dès le Moyen-Âge, des auteurs islandais ont mis par écrit ses principaux récits, qui regorgent d’aventures rocambolesques et de prédictions sur le terrible « Ragnarök », une sorte d’apocalypse qui signera la fin de ce monde et le début d’un renouveau.
Mais commençons par le début…

AUX ORIGINES : COMMENT LA TERRE ET LE CIEL ÉMERGÈRENT D’UN TROU

Aux origines du monde, d’après les Vikings, il n’y avait ni terre, ni herbe, ni humains, ni dieux. Mais il y avait un trou… ou plutôt, un vaste gouffre : le « Ginnungagap ». Ce gouffre séparait deux royaumes : au Nord, le royaume de la glace, et au Sud, le royaume du feu. Dans le premier régnaient un froid indescriptible et une obscurité permanente ; dans le second, une chaleur brûlante et une clarté absolue. A force de s’entrechoquer, le feu du Sud finit par faire fondre les glaces du Nord, quelques gouttes se formèrent et, du gouffre, la vie émergea.

En premier lieu, c’est un géant appelé Ymir qui vit le jour. Bien que les Vikings le décrivent comme un être mauvais et brutal, ils considèrent qu’il est à l’origine de la terre telle que nous la connaissons, et c’est lui qui commença à peupler le monde grâce à sa descendance. Quelle descendance ? dira-t-on. Par quel prodige Ymir est-il parvenu à se reproduire seul ? Le plus simplement du monde : en transpirant. Un homme, une femme et un fils émergèrent ainsi de ses aisselles et de sa jambe à partir de sa sueur.

D’autres êtres virent le jour de diverses manières, parmi lesquels un individu qui allait avoir une destinée hors du commun : Odin. Il n’a d’ailleurs pas attendu longtemps pour se faire remarquer, puisqu’il entreprit de tuer le géant Ymir avec l’aide de ses frères. Ce qu’ils firent.

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Ymir tué par Odin et ses frères

Et c’est à ce moment du récit qu’on comprend qu’Ymir n’était pas juste grand, mais démesurément grand. En effet, d’après les récits médiévaux, c’est son corps qui servit de matériau pour façonner la terre entière. Après l’avoir placé au milieu du gouffre de Ginnungagap, on créa la terre avec sa chair, les montagnes avec ses os, les pierres et les cailloux avec ses dents. De son sang, on fit la mer, qui fut placée en rond tout autour de la terre.

Iles féroe

Ensuite, le ciel aurait été créé à l’aide du crâne du géant Ymir. Il fut posé au-dessus de la terre et soutenu par quatre nains, positionnés aux quatre points cardinaux. Leurs noms ? Nordri (le Nord), Sudri (le Sud), Austri (l’Est) et Vestri (l’Ouest). Le ciel fut par après décoré d’étoiles, qui ne sont que des étincelles projetées du royaume du feu, puis jetées dans le ciel afin d’éclairer le ciel et la terre. D’après les Vikings, ce serait l’origine du jour et de la nuit, des années et des saisons. Si l’on en croit les auteurs islandais qui mirent ce récit par écrit au Moyen-Âge, le géant Ymir est mort depuis bien longtemps, mais il demeure sous nos pieds et au-dessus de nos têtes: il s’agit de la terre que nous foulons, un foyer qui n’existe que grâce à une équilibre fragile entre deux forces chaotiques, la glace et le feu. Tôt ou tard, cet équilibre sera rompu et un cataclysme aura lieu : le fameux Ragnarök…

VISITE GUIDÉE DE L’ARBRE-MONDE

Mais à l’époque des Vikings, la terre se porte bien. Avec le temps, le monde a trouvé de nouveaux habitants et s’est structuré en différents domaines. Vous en connaissez déjà 3 : d’abord, le royaume des glaces et celui du feu, qui n’ont jamais disparu. Ensuite, le royaume des humains, appelé Midgard (« le domaine du milieu »), celui que les Vikings et les autres peuples habitent. Les dieux, quant à eux, vivent dans leur propre foyer, une vaste forteresse appelée Asgard (« le domaine des dieux »). C’est à Asgard que sont amenés les guerriers valeureux tombés au combat. Odin les fait chercher sur les champs de bataille et les accueille dans une halle gigantesque, si haute qu’on peine à en voir le sommet. C’est le fameux Valhalla, que tout Viking digne de ce nom espère rejoindre après sa mort. Les défunts y boivent de l’hydromel à volonté et se régalent quotidiennement de la chair d’un sanglier immortel qui se reconstitue jour après jour : un véritable paradis ! Entre deux festins, les guerriers s’entraînent au combat afin d’être prêts pour la fin du monde. Les Vikings savent que celle-ci est inévitable et sera cruelle, mais ils ont bien l’intention d’aller à sa rencontre armes à la main. D’après les textes médiévaux, le jour venu, c’est plusieurs générations de guerriers décédés qui sortiront du Valhalla pour une dernière bataille.

Walhalla Max Brückner
 Représentation du « Valhalla » par le peintre Max Brückner (1896), utilisé pour la mise en scène de l’opéra L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner 

Dans une autre partie du monde, on trouve le Jötunheim (« le foyer des géants »). Aujourd’hui, c’est le nom donné à un parc national de Norvège, où s’étendent de vastes glaciers ainsi que les plus hauts sommets du pays. Mais le Jötunheim des Vikings n’appartient pas à la terre des hommes : c’est le domaine des géants, descendants directs d’Ymir. Les géants sont généralement malfaisants et certains dieux, comme Thor, se sont fait une spécialité de les réduire en pièces à coups de marteau. Une bonne partie des mythes nordiques débute d’ailleurs par une querelle entre dieux et géants. Mais les deux clans ennemis trouvent parfois le goût du dialogue et plusieurs mariages et métissages ont eu lieu entre eux : Odin est lui-même le fils d’une géante.

Parc National Jotunheime Norvège

Il existe encore d’autres domaines ; la mythologie nordique en distingue 9 au total. Tout ça pourrait paraître bien complexe et désordonné… Bien au contraire : ces domaines sont parfaitement structurés et agencés les uns par rapport aux autres. Comment ? Grâce à un arbre. Un immense arbre. Ses racines sont profondément ancrées dans la chair du géant Ymir et ses branches s’élèvent loin dans le ciel. Yggdrasil, « l’arbre-monde » mythique des Vikings, est ainsi censé soutenir l’univers entier à lui seul.
Passer du monde des humains au monde des dieux ou à celui des géants équivaut à grimper ou descendre dans ses branches. Les Vikings et leurs dieux vivent donc dans un monde assez bien ordonné. Les incidents sont nombreux et les dieux continueront longtemps à se chamailler avec les géants, mais l’arbre demeure solide et chacun reste souverain dans son domaine : les humains à Midgard, les dieux à Asgard, les géants à Jötunheim et les autres créatures dans leurs foyers respectifs.

QU’EST-CE QUI A UN ŒIL, DIX PATTES ET BOIT BEAUCOUP ?

Dans la plupart des religions anciennes d’Europe, il existe une divinité principale, comme Zeus chez les Grecs ou Jupiter chez les Romains. Chez les Vikings, c’est Odin qui remplit ce rôle. Il est en quelque sorte le père spirituel des autres dieux. C’est aussi une divinité fortement associée à la poésie et… à l’alcool. Il se pourrait d’ailleurs que le nom « Odin » signifie, à l’origine, « le saoul ». En réalité, Odin a une histoire bien particulière avec l’alcool, mais pas n’importe lequel : « l’hydromel poétique ». Celui-ci avait été créé à partir de sang et de miel à l’occasion d’une réconciliation entre deux familles de dieux. Quiconque en buvait devenait immédiatement un poète. Bien entendu, un breuvage aussi précieux ne pouvait qu’être bien gardé. En l’occurrence, une famille de géants en assurait la protection. Aussi Odin dut-il mettre en place une série de stratagèmes pour mettre la main dessus. Afin de se faire un chemin jusqu’à sa cachette, il élimina notamment les paysans de l’un des gardiens du l’hydromel en leur proposant d’aiguiser leurs faux. Il fit ce travail si habilement que les paysans réclamèrent sa pierre à aiguiser. Odin la leur lança et les paysans se décapitèrent mutuellement en se jetant dessus. Après d’autres aventures inattendues, Odin parvint à approcher et séduire la géante qui surveillait le breuvage, en avala l’entièreté des réserves et prit la fuite sous la forme d’un aigle. Depuis ce jour, Odin est le dieu de la poésie et l’hydromel est surnommé « la boisson des dieux ».

Odin est aussi le dieu de la connaissance, de la sagesse et des « runes », un alphabet utilisé par les populations germaniques anciennes. Ces qualités, il les acquit au prix de grands sacrifices. D’abord dans le domaine des géants, où il eut la chance de boire à la fontaine du savoir une eau qui lui donnerait la connaissance du passé, du présent et de l’avenir. En guise de paiement, il offrit l’un de ses yeux, raison pour laquelle Odin est toujours représenté borgne. A une autre occasion, il se pendit à l‘arbre-monde Yggdrasil tout en se perçant le corps de sa propre lance, et demeura ainsi pendant neuf jours, ce qui lui permit d’acquérir la sagesse et la connaissance des runes.

Odin_riding_Sleipnir

Odin borgne sur son cheval –  issue d’un manuscrit islandais du 18 e siècle 

Alors, qu’est-ce qui a un œil, dix pattes et boit beaucoup ? C’est bien sûr Odin, ou plutôt Odin chevauchant son cheval Sleipnir, le plus rapide et le plus étrange de tous les chevaux, puisqu’il a non pas quatre, mais huit pattes.

LA FIN DU MONDE… ET LE DÉBUT D’UN AUTRE

Si l’on en croit les textes médiévaux, le Ragnarök, ce cataclysme qui marquera la fin des temps, sera annoncé par trois hivers qui s’enchaîneront sans été. Le monde sera à feu et à sang, avec de grandes batailles et des luttes fratricides. Puis un loup avalera le soleil, un autre avalera la lune, les étoiles disparaîtront, la terre tremblera, des vagues gigantesques déferleront sur la terre, les arbres seront déracinés et des monstres seront libérés, dont le terrifiant Fenrir, un loup gigantesque. Le loup Fenrir sillonnera la terre, gueule béante, ses mâchoires raclant la terre et le ciel, avalant tout ce qui y passe, crachant du feu par ses yeux et ses naseaux. Face à ce désastre, les cornes du Valhalla sonneront, les dieux et les guerriers décédés mettront leur armure et partiront au combat. Odin sera cependant englouti par le loup Fenrir sans plus de cérémonie. Enfin, un géant du feu projettera du feu sur la terre et embrasera le monde entier.

Fenrir enchaîné. Manuscrit 1680

Le récit du Ragnarök est l’un des plus célèbres de la mythologie nordique. A première vue, il rappelle d’autres scénarios de fin du monde et il présente beaucoup d’analogies étonnantes avec l’apocalypse chrétienne. Depuis l’ère viking, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et fort heureusement, le soleil brille toujours au-dessus de nos têtes. Mais le thème de la fin du monde a retrouvé une certaine actualité, alors que les climatologues et spécialistes de la biodiversité d’aujourd’hui tirent la sonnette d’alarme concernant l’avenir de notre planète. Certes, de nos jours personne ne mettra ça sur le dos des loups mangeurs de soleil, mais l’image d’une dérégulation des saisons et d’un réchauffement global trouve évidemment un profond écho aujourd’hui. Mais là où le Ragnarök est le plus intéressant, ce n’est pas tant sur la fin du monde que sur ce qui vient après. Car oui, il y a un renouveau après le cataclysme ! Après avoir vu le soleil disparaître et la terre s’embraser, on ne donnerait pourtant pas cher de l’avenir du monde viking, mais l’ordre finira néanmoins par revenir, notamment grâce à deux individus qui auront trouvé refuge à l’ombre de l’arbre-monde Yggdrasil. Un nouveau soleil apparaîtra, la terre resurgira de la mer et la vie reprendra son cours.

Norvège Lever de soleil

 

Les auteurs médiévaux n’en disent pas beaucoup plus sur le monde d’après, mais c’en est assez pour saisir un thème général : le chaos est destructeur et terrifiant, mais il est aussi créateur et promesse de renouveau. C’est d’ailleurs par le chaos que commençait la création du monde, à l’image du cycle des saisons, qui chaque année ne meurent que pour renaître.

Article rédigé par Anaïd Gouveneaux, guide Grands Espaces et docteur en biologie marine.

 

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