L’ours blanc, raconté par votre chef d’expédition 1/3

Jonathan Zaccaria, chef expédition pour Grands Espaces, nous raconte dans cette série articles sa vision de l’ours polaire : son image, la perception que nous en avons et son statut de protection.

(ours blanc= ours polaire = ours arctique = ursus maritimus) (glace de mer = banquise = mer gelée)

Ours Polaire sur la banquise

Lorsque je débute un voyage sur le territoire de l’ours à bord d’un navire polaire, j’annonce dès les premières minutes, juste après l’exercice de sécurité, que l’unique moyen de garantir l’observation d’un ours blanc est d’acheter un ticket pour aller au zoo. En plus c’est bien moins cher !

La réaction du public est toujours identique: une stupeur pour la plupart qui montrent leurs grands yeux ronds écarquillés d’un air de dire “Quoi ?! j’ai choisi ce voyage  pour aller voir des ours et cela ne va peut-être pas arriver ?”(ma réponse soit dit en passant : oui!) ; tandis que les plus pragmatiques retiennent leurs rires, d’autres gloussent esquissant un sourire terne.

Pourtant, je n’ai jamais réalisé un voyage au pays de l’ours sans en voir un, et c’est toujours avec le même stress que je commence un voyage, avec cette question qui sans cesse trotte dans ma tête à chaque minute, à chaque seconde, que je n’arrive pas à expulser de mon cerveau bouillonnant : “aurons-nous une belle observation ?”

Alors, je garanti toujours à mes passagers que je ferai tout mon possible et mon impossible pour chercher cet animal.

Le trouver, c’est autre chose…

Je dis toujours que chercher un ours blanc dans le paysage glacé arctique, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il faut être méthodique, avoir de l’expérience, connaître ce que l’on cherche, et… de la chance ! Idem pour un guide de montagne préparant son sommet. L’entraînement, la préparation mentale, l’équipement, la planification, le repérage, ne seront jamais suffisant. La chance doit être là, ou du moins, la malchance doit être évitée !

Spotting Guides Grands Espaces

Certaines de mes connaissances guides ont été parfois malchanceux… Aurai-je de la chance cette fois-ci ? Que le seigneur de l’arctique soit avec moi !

Faire la différence entre un renne en robe d’hiver couché, une plaque de neige dans la toundra, un caillou clair et un ours, est chose très difficile qui requiert beaucoup de patience, d’observation et de persévérance.

Migrations-Ours-polaires

Savoir piloter un Zodiac en tenant compte du vent, de la houle, de la glace dérivante, pour approcher au plus près un ours marchant sur la banquise sans le déranger tout en fournissant les meilleurs angles de vue possible ne s’apprend pas en un jour. Autant de compétences nécessaires qui sur le CV sont obsolètes aujourd’hui étant donné la pandémie.

Grâce à vous, voyageurs du Grand Nord, j’ai vu des centaines d’ours. De loin; de près; qui sautent; qui nagent; qui marchent; qui dorment, qui chassent… Je partage avec vous ici mes observations les plus rares, celles que je n’ai vues qu’une seule fois, et qui sont vraiment exceptionnelles.

Deux ours se rencontrent

Photo d’illustration

Sur la banquise arctique à perte de vue, deux ours marchent. Ils sont encore loin l’un de l’autre et à priori s’ils continuent dans la même direction ils vont se rencontrer. Dans ce genre de situation les deux individus s’évitent cordialement, l’ours étant un animal extrêmement solitaire (c’est d’ailleurs de là que vient l’expression “être un ours”). Ce jour-là, ils se sont rencontrés ! Ils se sont dressés sur leurs pattes arrière, face à face et se sont mesurés l’un l’autre en se poussant à plusieurs reprises. Ceci dura une vingtaine de minutes… Uniques !

Un mâle chassant les petits d’une femelle.

Alors que nous observons deux oursons de l’année gambadant sur de la banquise côtière derrière leur mère, un autre ours est soudain aperçu. C’est un mâle, c’est sûr. Que ce soit le père ou pas, personne ne peut le savoir et peu importe. Les femelles sont en chaleur 3 jours par an et une fois l’affaire faite, le mâle disparaît aussitôt !

Très vite, nous voyons que celui-ci est intéressé par les oursons et se met à les poursuivre et les approchent de plus en plus. La mère comprend le jeu du mâle et arrive à l’intimider et à le distancer avec ses deux jeunes.

En effet, il existe dans certains cas de disette extrême des cas de cannibalisme chez l’ours blanc.

La tannière

Nous observons aux jumelles un ourson marcher sur le rivage enneigé au mois de mai, lorsque quelqu’un voit une tête d’ours, environ trente mètres plus haut, sortir d’un trou dans la neige entouré de multiples traces de pas. C’est une tanière ! Les oursons sortent de leur tanière au mois de mars. C’est un simple trou à peine plus grand que la taille de l’animal, creusé dans la neige au mois de décembre par la mère engrossée, et qui va donc fondre au Soleil pendant l’été polaire.

Cette tanière, alors vieille de quelque mois, a donc été utilisée par cet ours devant nous un peu plus  longtemps qu’à son accoutumée, ou est-ce juste un autre individu femelle passant par là avec son ourson qui visitent cette dépression créée par un autre individu quelques mois plus tôt ? Autant d’hypothèses plausibles qui ne pourront être confirmées…

La traque

Depuis le navire nous avons aperçu un ours au milieu de plaques de banquise. Nous mettons les Zodiacs à l’eau pour l’approcher lentement. Pendant ce temps, nous le perdons de vue. Nous avançons doucement dans nos bateaux pneumatiques vers la direction de la dernière observation. Nous sommes en train de traquer l’animal… pour une belle observation, espérons !

Ours Traque Banquise

Soudain, l’un d’entre nous l’aperçoit, il nage doucement entre deux plaques. Nous sommes tous à l’arrêt. Il disparaît. Puis réapparaît un peu plus loin : il est complètement immergé, le cou tendu pour hisser sa tête et porter son regard juste au-dessus d’une plaque de banquise. Il disparaît à nouveau. Quelques minutes plus tard, il réapparaît plus près de nous. Il n’y a plus qu’une seule plaque de banquise le séparant de nous ! Je réalise alors que ce n’est pas nous qui traquons l’ours, mais c’est lui qui nous traque ! Vite, déguerpissons !

Pour toutes ces belles observations, je vous dis, à vous voyageant à mes côtés et qui me suivent: MERCI !

> Lire la 2ème partie de cet article 

Chef Expédition Jonathan Zaccaria

Jonathan a connu sa première expérience en Antarctique à l’âge de 24 ans en tant que chercheur sur la base française Dumont d’Urville où il était chargé, entre autres, de mesurer la couche d’ozone et le taux d’UV. Quelques années plus tard, il fit un second hivernage sur la base Concordia, la seule base internationale d’Antarctique, située dans la partie la plus froide de la planète… Il y passa 14 mois, presque coupé du reste du monde, avec 11 compagnons, dans une température maximale de -25°C en été et minimale de -84°C en hiver ! À Concordia, Jonathan occupait le poste d’opérateur radio, responsable des télécommunications et de l’instrumentation géophysique. C’est à son retour qu’il commença à travailler à bord de bateaux de croisières expédition en Antarctique et en Arctique, où il occupa tour à tour les postes de guide, logisticien, conducteur de zodiac, instructeur de kayak, photographe, conférencier… Ce travail l’occupe désormais à plein temps, en hiver en péninsule Antarctique, Géorgie du Sud, et en été au Spitzberg, Groenland, Terre François-Joseph…

 

 

 

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