Ils sont chefs d’expédition, guides polaires, géologues, glaciologues… Tous viennent d’horizons différents et avec un bagage qui leur est propre, mais un point commun les unit : leur passion envers la nature et le désir profond de partager les connaissances qu’ils ont acquises. Ce sont de véritables ambassadeurs de la protection de la nature, et à bord, ils sont investis d’une mission : vous faire vivre des moments inoubliables tout en faisant en sorte que vous deveniez à votre tour les ambassadeurs de la protection de ces univers fragiles.

Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de Vincent Lecomte, chef d’expédition chez Grands Espaces, qui nous explique son rôle et l’importance de son équipe à bord.

Peux-tu te présenter et nous parler un peu de ton parcours ?

Je suis guide et chef d’expédition pour Grands Espaces. Je suis également professeur à l’université de Bourgogne, où j’enseigne la biologie et l’écologie, à l’UFR « SVTE » (Sciences de la Vie, de la Terre et de l’Environnement). Je suis passionné de Sciences Naturelles depuis mon enfance. Enfant, je collectionnais des pierres précieuses, des fossiles et faisait des herbiers dans ma campagne du Lot. J’observais beaucoup les oiseaux, tout jeune, suite à un voyage scolaire dans les Pyrénées au cours duquel un guide naturaliste, capable d’identifier un Milan ou un Faucon au premier coup d’œil, m’avait impressionné.

J’ai un parcours académique : classes prépa Bio, Master BEE (Biodiversité, Evolution et Ecologie) à l’Ecole Normale Supérieure de Paris, Doctorat d’écologie polaire au CNRS. Lors de mon travail de recherche, j’ai eu la chance de pouvoir vivre une année sur des bases antarctiques et subantarctiques françaises, sur l’île de la Possession et en Terre Adélie notamment.

Cette expérience de « vie sur base », dans une communauté humaine au bout du monde, au milieu des manchots, des Albatros, des Orques et des Pétrels des neiges, avec pour seul horizon la banquise à perte de vue, la calotte polaire, ou l’Océan Austral déchaîné, avec ou pour horloge le rythme biologique des poussins de manchots, m’a définitivement transmis le « virus du froid ». Le monde polaire, c’est une autre planète. C’est mon deuxième pays natal 🙂

Qu’est ce qui t’a mené à partir à bord de bateaux d’expédition d’abord en tant que guide polaire ?

J’ai toujours été passionné par les pôles, et j’ai toujours eu le goût d’expliquer la nature « sur le terrain » à mes amis, à mes connaissances, à mes étudiants, ou des voyageurs de passage lors de mes travaux de recherches dans les TAAF. Adolescent, j’ai été guide nature bénévole, pendant les vacances scolaires, dans la Réserve Naturelle de l’Etang Noir en France. Cela, déjà, m’avait beaucoup plus. Muni de mon CV académique, de mon expérience dans les bases polaires françaises, j’ai candidaté en 2016. Ce ne fut pas chose facile : le milieu est concurrentiel. Il m’a fallu acquérir des compétences techniques que je n’avais pas (conduite de zodiac en pleine mer, maniement des armes de protection) ainsi que des qualifications (CQFBS : se former à la sécurité à bord des navires). Mais j’adore tenter de relever des défis !

Devenir guide polaire, c’est essayer de se « surpasser »… Pour se rendre compte, une fois sur place, que la nature est insurpassable ! Ces icebergs immenses, ces vents délirants, ces banquises mouvantes. Et le premier regard que l’ours curieux pose sur toi ! Tout cela est si impressionnant qu’on ne peut pas résister à l’idée d’y retourner.

Vincent Lecomte - Banquise

Comment devient-on Chef d’expédition ?

Chronologiquement, on commence par être guide-stagiaire sur un bateau de croisière/expédition. On apprend les rudiments du métier et on se forge une culture naturaliste (savoir reconnaître les oiseaux polaires, apprendre les spécificités de la banquise, un écosystème très complexe !). Puis, une fois intronisé guide titulaire, on acquiert de l’expérience, au cours de nombreuses croisières, si possible sur plusieurs navires, avec plusieurs équipages. C’est passionnant, pour peu que l’on aime interagir avec le public et différentes professions. A bord d’un navire, toutes les professions presque se côtoient, en vase clos, et tout doit fonctionner, sinon le bateau coule ! C’est donc une société en miniature, dont il faut comprendre les codes.

Après plusieurs années d’expérience comme guide, on peut postuler pour être chef d’expédition, à condition d’avoir, je pense, un certain sens de la communication, un bon sens de la coordination, de la rigueur, un goût pour l’interaction avec toutes les communautés humaines (la communauté des voyageurs, la communauté Marine, la communauté naturaliste, la communauté des professionnels du voyage).

Au bout de quelques années de terrain, devenir chef d’expédition est presque naturel si l’on est passionné par le métier de guide polaire et par les régions polaires. En effet, on a toujours envie d’en savoir un peu plus !

Je souligne que le chef d’expédition ne serait rien sans son équipe et sans toutes les équipes qui sont à la manœuvre, notamment au bureau ! Le chef d’expédition est tout simplement un « coordinateur » du travail effectué par les autres ! Et ce travail est crucial. Les membres du bureau, l’équipe de direction, les guides, les directrices et directeurs de croisière : toutes et tous sont les rouages d’une belle machine, le « chef » d’expédition n’est qu’un rouage parmi d’autres que la machine fonctionne. C’est un travail d’équipe, et franchement GE c’est une belle équipe, comme rarement je l’ai éprouvé dans d’autres domaines de ma carrière (le travail du scientifique est généralement davantage solitaire).

Quel est ton rôle à bord en tant que chef d’expédition ?

Selon moi, le chef d’expédition assure :

– la définition ou l’ajustement de l’itinéraire en fonction des contraintes météorologiques, de l’état de la mer, des aléas du voyage, des possibilités d’observation

– le choix, l’organisation et le timing des excursions en mer ou à terre

– la coordination entre les membres de l’équipe d’expéditions (les guides, le directeur ou la directrice de croisière), l’équipage du navire, et les passagers

– la répartition des rôles de chacun des guides au cours du voyage

– l’écoute, le conseil et le contact avec les passagères et passagers au cours de leur voyage ; il doit se montrer présent et disponible, de manière naturelle et dévouée ; le chef d’expédition à un rôle informel important par son esprit, en essayant de favoriser le contact et la bonne entente entre tout le monde, en se montrant à l’écoute, malgré les aléas du voyage

Le chef d’expédition doit toujours garder en tête que le voyage ne doit pas déranger l’écosystème visité. Il faut savoir se retirer au bon moment pour ne pas perturber la faune, par exemple. Le chef d’expédition a également un rôle important dans la définition du programme des conférences et des ateliers, en un mot dans la diffusion de la connaissance pour sensibiliser le grand public aux enjeux contemporains qui pèsent lourdement sur les milieux polaires.

Le chef d’expédition a un rôle majeur dans la gestion des problèmes, qu’ils soient des problèmes logistiques, des incidents ou des accidents, lesquels peuvent survenir à tout moment. Il doit donc en premier lieu s’assurer que toutes les exigences de la sécurité de tous sont respectées.

Pour faire court, je dirais qu’être chef d’expédition, c’est 50% du temps consacré à la « gestion de problèmes » et 50% du temps consacré à faire en sorte qu’il n’y ait pas de nouveaux problèmes ! C’est exigeant, mais très stimulant. Au bout, il y a la récompense d’un voyage réussi, avec des ours, des paysages fabuleux, des guides qui peuvent déployer toute leur passion auprès des voyageurs, des sourires sur celles et ceux qui sont venus observer la beauté du monde !

Quelles seraient les qualités particulières pour être chef d’expédition ?

Je pense qu’il faut être passionné dans tous les sens du terme. Il faut être passionné par les destinations, bien sûr, ou par les sujets scientifiques ou naturalistes (l’ours, les manchots, la glace, l’arc en brume…), mais aussi passionné par le contact avec les communautés humaines : les marins, les communautés locales, telles que les Inuit, et tous les voyageurs qui ont chacun des passions à partager.

Je peux parler avec passion, pendant une heure, de la Dryade à huit pétales, une petite plante Arctique qui est une relique glaciaire, que l’on trouve au Svalbard, et qui raconte une histoire paléo- climatique fascinante. Bon, ça n’est qu’une petite fleur inutile. Mais quand chaque guide amène sa passion, l’un pour la glace, l’autre pour les cétacés, l’autre pour l’histoire des Vikings, la mayonnaise prend et le voyage devient un beau voyage.

Je rajouterais qu’il faut avoir un bon sens de l’organisation, ne pas avoir peur de l’imprévu, détester la routine, s’attendre à ne pas beaucoup dormir (de toute manière, il fait jour à minuit !), et s’attendre à devoir gérer beaucoup de problèmes, des problèmes à prendre comme autant de « petits défis » à résoudre…

Quel est l’aspect que tu préfères dans le métier de chef d’expédition ?

En premier lieu, le sentiment de liberté. Pouvoir choisir et définir son itinéraire de jour en jour, voire d’heure en heure, voguer en fonction des conditions de glace (l’état de la banquise), de vent, de brume, de mer… Ce sentiment de liberté est l’essence même du voyage d’aventure. Il est extrêmement stimulant se retrouver à l’aube, à 5h du matin, en passerelle, le nez dans les cartes, avec son compas, en dialoguant avec le commandant ou le second, pour rechercher la meilleure décision à prendre pour l’itinéraire — surtout quand il s’agit d’aller dans un endroit méconnu voire inconnu des bateaux de croisière. Le sentiment d’exploration rejoint le sentiment de liberté…

Le deuxième aspect, c’est vraiment le simple plaisir de se retrouver avec les passagers, ou les guides, ou les membres de l’équipage, pour discuter de tout et de rien, devant l’immensité de la banquise, bref, l’échange humain. Sur les bateaux, cet échange humain revêt quelque chose de très spécial, d’unique. Le chef d’expédition est souvent confronté à de nombreuses « situations humaines », dans toutes les langues (anglais, espagnol, russe), et ce creuset a quelque chose de génial.

Troisièmement, il y a ce moment particulier que j’aime, quelques heures avant la fin du voyage, c’est le sentiment d’avoir réussi le travail qui m’a été confié, si tout s’est bien passé, si la mer a été clémente, et la nature généreuse, et de voir que les passagers ont (vraiment) du mal à quitter le bateau, parce qu’eux aussi ont attrapé le « virus polaire »…

Pourquoi t’être engagé auprès de Grands Espaces pour mener de telles expéditions ?

Grands Espaces a attiré mon attention pour plusieurs raisons : la première, c’est l’ « esprit d’expédition », sous un certain angle assez proche des expéditions polaires que je vie comme scientifique. Sur cette compagnie, il y a un grand sentiment de liberté. Les sorties « Grands Espaces » ne ressemblent en rien à celles que j’ai pu vivre sur d’autres compagnies, plus formatées, plus standardisées.

Je pense que c’est lié à l’esprit de son fondateur Christian Kempf qui lui-même a fait beaucoup de Recherche et d’expéditions pures et dures en Arctique. Sur les bateaux GE, cela n’est jamais un problème que se confronter à la nature, la vraie. Par exemple, au mois d’août, nous sommes sortis 8h en zodiac, sans retour au bateau, prendre le temps d’observer la nature dans ses moindres détails, pour prendre le temps d’explorer des lieux éloignés. C’était comme dans un rêve…

Enfin, Grands Espaces propose des voyages « à taille humaine », sur de petits bateaux, loin des « bateaux usines » qui n’offrent rien d’autre qu’une expérience purement commerciale. Il y a un esprit familial et amical à GE que j’affectionne particulièrement.

Te sens-tu investi d’une mission particulière en faisant découvrir les régions polaires aux passagers ?

Oui. C’est d’ailleurs la même mission qui m’anime devant mes étudiants de l’université : sensibiliser, de manière approfondie, tout un chacun aux enjeux des changements globaux, dans les détails. A l’urgence climatique. Pour cela, je donne des conférences à bord où la question des changements climatiques est omniprésente. Nous montrons aux passagers le recul de la glace « en direct ». Si les passagers repartent avec le sentiment d’avoir appris quelque chose sur la situation globale mondiale, je suis satisfait.

Quand il y a des jeunes à bord, parfois des enfants, les guides et moi essayons de faire en sorte qu’ils repartent « émerveillés jusqu’au cœur » par la beauté sauvage de la nature polaire… L’avenir du monde passe par le contact des jeunes avec la nature, dans un monde de plus en plus déconnecté du réel et du monde naturel, et je crois qu’un bateau GE est parfaitement adapté à cela ! Tous les cours de SVT devraient avoir lieu en mer 🙂 Le monde serait rapidement sauvé !

Ton plus beau souvenir à bord ?

Chaque saison est associée à des centaines, des milliers de bons souvenirs. Il est vraiment difficile de n’en choisir qu’un seul. Je pense aux aurores boréales qui éclatent en pleine nuit, au sud du Groenland, alors que personne ne s’y attendait, en août 2023. Je pense à ces ours qui marchent sur la calotte polaire de l’île blanche, dans la lueur jaune or du soleil de minuit, en juillet 2023. Je pense à ce jour où, débarquant sur un lieu inconnu, je m’aperçois que nous marchons quasiment sur une plage de fossiles du paléozoïque, des brachiopodes, en forme de cœur. Je pense à ce monument éphémère, cet iceberg à deux arches de 96 m de haut, dont Mathilde (apprenant alors à faire du zodiac) et moi avions fait plusieurs fois le tour, bercés par une mer houleuse. Je pense à cette baleine à bosse qui surgit au pied d’une cascade sur la barrière de glace de Brasvelbreen. Tout cela semble irréel. Le monde polaire est extraterrestre…

Si je dois n’en choisir un, aujourd’hui, je pense que je voudrais mentionner ces observations animalières faites au mois de juillet 2023, sur l’Ocean Nova, avec des oursons qui jouent dans l’eau devant nous pendant une heure, attrapent des algues au fond de l’eau, les enroulent autour de leur cou comme des colliers, se chamaillent comme des chatons, se passent les algues l’un à l’autre (le tout avant d’aller taquiner des morses). Cette observation est, sur le plan éthologique, assez dingue… Le jeu existe chez les mammifères, il est même assez répandu, mais je ne pensais pas que les ours polaires pouvaient utiliser des « outils » pour jouer. En l’occurrence, ces algues représentent un outil ludique. Un objet tiré de l’environnement qui adopte une fonction. La question des outils est une question importante en biologie du comportement. Un article récent de Ian Stirling, l’un des spécialistes mondiaux de l’ours polaire, fait justement une synthèse récente questionnant la place sous-estimée de l’outil dans le comportement de l’ours polaire. Les ours n’ont pas fini de nous surprendre !

Oursons Spitzberg

Merci Vincent !

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