Christophe Bassous
Arctique et Antarctique
15 juillet
28 juillet 2025
Christophe Bassous
Arctique et Antarctique
Élodie Marcheteau
Géologie
Certaines photos photos d’illustrations ont été prises lors de précédentes croisières au Spitzberg et au Groenland. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
Chaque voyage débute par une première étape: la nôtre est celle qui nous permet de rejoindre Longyearbyen, capitale territoriale la plus septentrionale au monde, où nous attend notre navire, le Nanook.
Ville la plus peuplée de l’archipel du Svalbard avec ses 2600 habitants, Longyearbyen fut fondée en 1906 pour un homme d’affaires et investisseur américain, John Munroe Longyear, qui sut rapidement exploiter la ressource minière principale de l’archipel : le charbon. Des vestiges de cette époque ornent encore aujourd’hui les flancs des collines de l’Advental où s’étend la ville aux maisons colorées.

Quitter ce port actif où s’acheminent chaque année plus de 80 000 touristes en quête de découverte de l’extrême arctique marque la seconde étape de notre aventure polaire: celle de la découverte de ces terres longtemps restées inconnues de l’Homme. Rapidement, la civilisation paraît lointaine devant ces paysages majestueux aux montagnes pointues ayant inspiré le navigateur Willem Barents pour nommer l’île principale du Svalbard, le Spitzberg. Le soleil nous accompagne, la lumière douce se reflète dans l’eau calme comme un lac, seulement perturbée par les vagues du navire. Nous sommes déjà dans un autre monde, loin des Hommes, prêts à découvrir la Nature qui déjà nous envoûte.

Après une nuit calme, c’est le St Jonsfjord que nous nous réveillons ce matin, sous une tempête de ciel bleu. Ce fjord situé au Nord de l’Isford s’étire sur une vingtaine de kilomètres dans des roches de plus d’un milliard d’années portant les marques des grands événements tectoniques ayant structuré le Spitzberg. Observés par des sommets s’élevant à plus de 800 mètres, nous commençons notre première sortie en zodiac dans la partie amont du fjord, devant un front glaciaire aux formes hérissées et aux couleurs contrastées de blanc et de bleu. Entre les glaçons, témoins de vêlages récents, une tête sombre dépasse de l’eau: un phoque barbu profite lui aussi de cet environnement magnifique. Très curieux, l’individu s’approche au plus près de nos embarcations, laissant voir ses vibrisses blanches et ses narines en V. Bientôt, à la force de ses griffes, nous l’observons tenter à plusieurs reprises de grimper sur un petit bloc de glace, mais l’ascension n’est pas couronnée de succès. En effet, ce phoque a de toute évidence choisi un morceau trop petit pour supporter son poids pouvant s’élever à 400 kg.

Nous l’observons encore dans une ultime tentative avant de s’éloigner vers une destination inconnue. A notre tour, nous nous éloignons pour rejoindre la pointe de Gjertsenodden, où en 1962 les trappeurs Per Johnson et Knut Edin établir une hutte de loisir, celle-ci n’ayant jamais été utilisée pour des hivernage ou des campagne de trappe. Construite à partir de bois flotté transporté par les courants depuis les forêts de Sibérie, cette petite hutte nommée « Perhytta » domine la pointe sableuse où se nourrissent plusieurs bécasseaux violets. Des bois de rennes siègent devant la cabane, témoins de la présence abondante ici de cet animal endémique du Svalbard. Pourtant, ce matin, nous n’en verrons aucun. Toutefois, ce site est l’occasion de découvrir la toundra avec un premier aperçu de la diversité de cette flore aux multiples stratégies d’adaptation à un milieu si contraignant. Ici les silènes acaules poussent en coussinets pour conserver l’humidité et la chaleur du soleil, là les saules polaires étendent leurs branches ligneuses en tapis ne dépassant pas quelques centimètres à l’abri de roches. Un parterre fleuri et verdoyant sur lequel nous posons chaque pas avec attention.
Bientôt nous retrouvons la chaleur du bord, le vent étant monté en cette fin de matinée. Après une approche du Nanook au fond du fjord, nous nous préparons à notre seconde sortie de la journée, en direction des glaciers de Konowbreen et d’Osbornbreen. Après quelques slaloms entre les icebergs, de retour au bateau, une forme attire l’attention de nos guides sur la toundra en hauteur : allongé de tout son long, son poil jaunâtre se détachant sur le tapis verdoyant sur lequel il est installé, un ours polaire se repose. L’excitation est à son comble mais chacun observe le silence devant ce spectacle inattendu, pour certains tant espéré. Peu actif, peut-être repu d’un repas copieux, il lève la tête pour la reposer quelques instants plus tard. Cet ours adulte, nous le reverrons plus tard depuis le navire, après notre exploration des deux fronts glaciaires où deux phoques barbus prennent tranquillement le soleil sur des glaçons, leur face rouge observant sans inquiétude le ballet de nos zodiacs.

Lors de notre passage à bord du Nanook pour reprendre la mer vers notre prochaine étape, l’ours s’anime, faisant quelques pas, nous permettant de contempler son corps imposant et bien nourri. Bientôt il se recouche, alors que nous poursuivons notre route en direction de l’extrême Nord-Ouest du Spitzberg.
Après une conférence de l’une de nos guides sur l’histoire de Svalbard, de sa découverte en 1596 en passant par l’histoire baleinière, la trappe et l’exploration polaire jusqu’à l’exploitation minière, la soirée est festive après cette première journée d’observation et d’immersion. Alors que le soleil baisse sur l’horizon, chacun va se reposer car demain, nous le savons, de nouvelles découvertes nous attendent.
Au pied du lit, dans le fjord de Smeerenburg, la ville de la graisse, on se réveille en face d’un gros tas de morses échoués sur la grève sablonneuse. La mer est calme, il y a peu de vent et la température est de 7 degrés. Le ciel est bleuté et les glaciers alentours brillent. Il faut reconnaitre que c’est un beau réveil !
Au 17ème siècle, cette région fut la zone de chasse à la baleine la plus importante du Spitzberg, et l’on trouve des restes de cette époque en de nombreux endroits avec des mouillages très connus comme Smeerenburg ou Virgohamna. Relief alpin, escarpé, abrupt et fortement englacé à l’intérieur. Le relief côtier en revanche est arrondi par l’érosion des glaciers. Un paysage plat ne se rencontre que sur l’île d’Amsterdamøya et de façon limitée sur l’île de Danskøya, sinon le terrain est peu praticable et très pierreux.
Le petit déjeuner avalé, nous « zodiaquons » de l’autre côté du fjord. Mais Christophe nous arrête très vite. Il a la tête littéralement plongée dans l’eau. Visiblement encore dans ses « petites bêtes ». En effet, il suffit de se pencher hors du zodiac pour voir, pas apercevoir, mais voir des centaines de petits organismes plus ou moins transparents, Groseilles de mer, Beroe, Méduses arctiques, et plein d’autres anomaux planctoniques. Un perroquet des mers nous tourne autour. Curieux ce petit macareux … Et nous continuons notre exploration avec la découverte du petit glacier Kennedybugta. Personne n’y a jamais mis un gant, tellement il est caché et surtout, il n’est pas sur les chemins habituels. Bref, en exploration on ne sait jamais si ça sera bien ou nul. Et bien là, c’est superbe ! Tout le monde voulait pouvoir y rester prendre un apéritif et y faire une sieste. Mais le repas du midi nous attend déjà au Nanook. Le temps passe à une vitesse folle …
Le Bjørnfjord se termine par un beau glacier, le Smeerenburgbreen. Comme il a reculé durant ces dernières décennies, les cartes marines ne comportent pas d’indications de profondeur. Nous mouillons néanmoins notre ancre devant un spectacle superbe. Et pour quelques chanceux, un petit rorqual fait une timide apparition. Nous sortons les zodiacs et filons vers le front de glace. Nous sommes vite stoppés par un appel radio. Elodie a repéré un ours sur une des petites îles qui parsèment le devant du glacier. Oui, un ours à Smeerenburgbreen !
L’ours est en train de déguster ce qui nous semble être un oiseau ou peut être des œufs. Il est bien portant, avec une tête de couleur brune. Il a dû manger quelque chose de très sanguin. Il déambule en suite un bon moment, cherchant à quel endroit il pourrait quitter l’île. Ce sera forcément à la nage. Mais madame est délicate. Elle tâte longuement l’eau avant de s’y couler. Tout ça pour aller de l’autre côté du fjord. Il y a une belle distance, d’autant qu’il doit nager au milieu du « brash » (ces morceaux de glace issus du vêlage du glacier). Il prend d’abord la direction d’une autre petite île tout à côté, y grimpe, tournicote un peu, puis repars dans un autre sens vers la sortie du fjord. Nous le laissons alors à ses activités maritimes. Mais quelles magnifiques observations ! Avec le glacier qui nous parle et qui tonne comme des coups de fusils. Ce glacier en particulier a du « caractère ». Il est différent des autres, dans ses formes torturées d’un côté, les séracs en ordre de l’autre. Des couleurs d’un bleu léger puis sombres lorsque la glace est plus profonde. Un phoque montre son bout de museau. Les moteurs des zodiacs éteints, les bruits qui proviennent des morceaux de glace qui fondent et qui libèrent les bulles d’air multimillénaires emprisonnées. C’est magique et nous profitons de ces moments de grâce …
Il commence à faire un petit peu frais, mais la journée a été tellement splendide et surtout inoubliable, que nous ne sentons rien. Il sera toujours temps de se réchauffer avec un chocolat chaud.
Rentrés au bateau, après un petit goûter réparateur, nous assistons à la conférence de la journée et qui concerne ce super plantigrade. C’est Christophe qui nous fait la présentation sur Ursus maritimus. Un animal passionnant, intelligent et qui tente de s’adapter aux grandes modifications climatiques actuelles.
Il est bientôt temps de diner, et oui, le temps file comme l’éclair ! Bonne nuit et à demain pour d’autres aventures.
Depuis le fjord abrité de Smeerenburg, le Nanook a repris la mer en direction de l’Est en direction de Mosselhalvøya, péninsule abritant le point le plus au Nord de l’île du Spitzberg, Verlegenhuken, à 80°03 de latitude.
Le ciel est couvert ce matin, et le vent plus fort que les jours précédents nous rappelle que nous sommes bien sous des latitudes polaires. Alors que nous progressons à bonne allure vers Sorgfjorden, l’une de nos guides revient sur l’observation de la colonie de morses que nous avons réalisée la veille à Smeerenburg. A cette occasion, nous en apprenons davantage sur la biologie et les mœurs de ce mammifère hors du commun, seul représentant de son espèce inféodé à l’hémisphère Nord. Bientôt, notre navire arrive à destination et pose l’ancre dans Sorgfjorden. Le ciel est toujours bas, et la neige balayée par le vent s’invite à notre transit en zodiac pour rejoindre le site de Crozierpynten. La houle est bien formée, le zodiac avance lentement sur les vagues. Peut-être est-ce la vitesse ralentie par les vagues, peut-être devrions-nous faire cette rencontre aujourd’hui dans ces circonstances, nul ne le sait : comme sorti de nulle part, sur le rivage, un ours se dessine. Sa fourrure encore bien blanche nous indique qu’il s’agit d’un jeune adulte, bien nourri comme en témoigne son ventre rebondi. Aussi surpris que nous, il s’avance rapidement vers la berge, s’arrêtant pour se redresser sur ses pattes arrière pendant un temps qui semble étonnant long, avant de se rétablir solidement les quatre pattes au sol, sans bouger. Que ce soit du côté de l’ours ou du nôtre, l’heure est au silence, à l’observation fascinée, attentive aux moindres détails. Levant la tête et pointant le nez vers le haut de manière rythmée, l’ours passe plusieurs minutes à analyser ainsi son environnement. L’odorat est en effet son sens le plus développé, lui permettant parfois de repérer sa proie à plusieurs dizaines de kilomètres. Il lui arrive d’ouvrir en plus la bouche pour utiliser la sensibilité des muqueuses buccales et des papilles de sa langue bleutée pour affiner encore davantage ses perceptions. Ce qu’il ressent à notre approche ne semble guère l’intéresser, et il s’éloigne bientôt, poursuivant sa route derrière les rochers découpés de la côte. La présence de cet ours nous interdit de débarquer sur le site de Crozierpynten, où siègent encore les vestiges d’une base suédoise établie en 1899 par l’expédition « Arc de Méridien », qui vit la collaboration entre la Suède et la Russie pour prouver l’applatissement de la Terre vers les pôles. Encore remplis de cette scène inattendue avec le seigneur de l’Arctique, nous retrouvons avec joie la chaleur du navire.
Après une pause appréciée, nous voici repartis en début d’après-midi vers le côté opposé du fjord, sur le site d’Eolusneset, nommé d’après le navire Eolus, piègé dans les glaces du Sorgfjord en 1855. A notre arrivée sur la plage de sable décorée de bois flotté, une nouvelle surprise nous attend : un groupe d’une petite dizaine de morses adultes est installé près du rivage, avec, dans l’eau plusieurs jeunes entourés par une femelle. Discrètement, nous nous approchons pour contempler le plus grand pinnipède de l’Arctique, impressionnant par sa masse pouvant approcher des 2 tonnes pour un mâle adulte et ses longues défenses en ivoire. Bien calés et au chaud les uns contre les autres, ils ne nous prêtent guère attention, occupés qu’ils sont à se gratter avec leur nageoire antérieure et à se frotter entre eux. Ce comportement est caractéristique de cette période de mue estivale au cours de laquelle le morse renouvelle sa fourrure en prévision de l’hiver où il restera dans les mers froides. Nous les laissons pour atteindre le sommet de ce petit piton de dolérite formant des colonnes presque hexagonales où s’élève une croix, hommage aux hommes victimes de la célèbre bataille de Sorgfjorden de 1693, qui opposa des corsaires français à une quarantaine de navires baleiniers hollandais. L’assaut se solda par la prise de 12 navires hollandais par la France au nom de Louis XIV, et la mort de nombreux marins. Ce ne sont toutefois pas leurs dépouilles qui reposent dans les tombes de pierre d’Eolusneset, mais plus probablement celles de baleiniers ayant arpenté ces mers au début du 17ème siècle. Devant ces dizaines de tas de pierres, nous ne pouvons qu’imaginer le destin tragique de ces hommes partis dans ces contrées hostiles en espérant y trouver gloire et fortune. Nous terminons notre balade sur ce site chargé d’histoire en arpentant les plages surélevées où dépassent parfois des fragments d’os de baleines, vieilles parfois de plusieurs siècles.
Alors que nous reprenons le zodiac pour retourner à bord, un jeune morse se montre curieux en nageant autour de nous, nous suivant de son œil perplexe devant le spectacle que nous représentons. Les rôles ici s’inversent parfois, l’observateur devenant l’observé!
La soirée se poursuit à bord du Nanook, par un retour sur carte sur notre itinéraire et les prévisions des prochains jours par nos guides. Le ciel se couvre ce soir, la brume s’épaissit pour nous envelopper de son atmosphère cotonneuse. Une invitation au repos, à l’intégration de toutes ces images exceptionnelles, fil rouge de notre journée. Demain s’annonce différent, avec nos premiers pas en Terre du Nord-Est.
C’est sous un ciel gris, aux nuages chargés de pluie, que nous nous réveillons ce matin, entourés des petits îlots rocheux façonnés par les glaciers caractérisant le fjord de Murchinson. Alors que nos guides s’affairent pour scruter aux jumelles les moindres parcelles de côte à la recherche d’un ours potentiel, nous nous activons pour nous préparer à débarquer sur le site de Kinnvika. La pluie s’invite à la visite, et nous accompagnera tout au long de la sortie. Cette atmosphère nous fait d’autant plus prendre conscience de l’isolement de cette base scientifique établie en bordure de la Terre du Nord-Est en 1957, en pleine guerre froide. Fruit de la collaboration entre la Suède et la Finlande, elle fut construite dans le cadre de l’Année Géophysique Internationale, troisième édition des campagnes scientifiques polaires internationales débutées en 1882-1883, en vue d’une meilleure connaissance des zones géographiques peu cartographiées telles que les zones polaires des deux hémisphères. Ici au Svalbard, les recherches menées entre juillet 1957 et décembre 1958 portèrent notamment sur la météorologie, les aurores boréales ou encore le champ magnétique terrestre. Une dizaine de bâtiments en bois compose cet ensemble étonnant figé au milieu d’un désert minéral. Les bâtiments fantomatiques abritent encore les scènes de vie de ces équipes de chercheurs ayant bravé le climat et la nuit polaire : dortoir, atelier, salle commune et même sauna, indispensable réconfort pour ces Scandinaves. Difficile d’imaginer passer des mois entiers dans cet environnement semblant aujourd’hui si austère.
Et pourtant, deux rennes nous rappellent que cet environnement est non seulement source de connaissances, mais aussi source de vie. Bien que très rase et peu abondante, la toundra est néanmoins bien présente ici: sur ces plages surélevées arrosées par la fonte des névés, les mousses vertes accompagnent le pourpre des saxifrages à feuilles opposées, alors que quelques pavots arctiques ramènent une note délicate de jaune pâle dans ce tableau de pierre. Les rennes broutent avidement cette flore adaptée aux sols peu fertiles du haut arctique, sans faire attention à toutes ces paires d’yeux qui les observent avec intérêt. C’est la première fois que nous rencontrons ce cervidé depuis le début de notre aventure, et notre attention est à son comble. Espèce endémique du Svalbard, ce renne se distingue par la présence de bois à la fois chez le mâle et la femelle, dont la croissance débute à des périodes différentes. Caractère sexuel secondaire pour le mâle indispensable durant la période du rut en octobre, les bois sont plutôt utilisés par les femelles comme support de protection et de recherche de nourriture durant la période hivernale de gestation. Les deux individus que nous voyons devant nous sont des mâles d’âge différent, l’un arborant des bois à plusieurs andouillers, l’autre bien moins développés. Organes osseux, les bois sont recouverts d’un duvet appelé velours, assurant la vascularisation indispensable à leur croissance qui peut atteindre 1 centimètre par jour chez certains individus. Dans plusieurs semaines, les bois de ces mâles auront atteint leur taille maximale pour l’année, le velours séchera jusqu’à tomber, laissant voir la forme majestueuse de la ramure, prête pour la saison des amours.
Nous laissons ces rennes à leur repas estival, indispensable à la constitution de stocks de graisse en prévision du prochain hiver durant lequel l’accès à la nourriture est bien plus difficile, la couverture neigeuse recouvrant tout ou partie de la toundra. A notre tour de nous sustenter après cette sortie au cœur de l’histoire scientifique du Svalbard.
En début d’après-midi, après quelques heures de navigation, le Nanook arrive en vue de la falaise d’Alkefjellet, la bien nommée « falaise aux guillemots ».
A bord des zodiacs, nous découvrons en nous approchant que ces nuées tourbillonnantes autour des falaises ne sont autre que des oiseaux, les fameux Guillemots de Brünnich. Des dizaines de milliers de couples nichent ici chaque année, s’installant sur des corniches étroites découpées dans la dolérite, cette roche magmatique aux formes de colonnes. Dans ces structures majestueuses surplombant la mer, chaque couple retrouve fin avril son nid, et s’installe pour y abriter une nouvelle vie jusqu’à la fin du mois d’août où le père accompagnera son petit encore incapable de voler vers l’épreuve du grand saut. Si le petit réussit cette initiation, les deux nageront ensemble jusqu’à rejoindre des mers plus au Sud pour y passer l’hiver, parcourant parfois 1000 kilomètres pour rejoindre Terre-Neuve. Ce grand saut n’est toutefois pas garanti de succès : suivant l’emplacement du nid, le petit s’expose à une chute dans les pierriers et la toundra séparant les falaises de la mer salvatrice. Et dans les parages, le renard polaire rode, comme en témoigne celui qui apparaît soudain au milieu des blocs. Agile, ce petit canidé à la courte fourrure estivale colorée de beige et de marron se faufile entre les éboulis, reniflant chaque interstice en remontant rapidement à la base des tours rocheuses. Bientôt, il s’allonge dans la toundra: se repose-t-il? Attend-il quelque chose ? Malgré notre attente contemplative, nous ne pouvons répondre à ces questions et le laissons étendu sur son coussin végétal. Cette rencontre furtive complète à merveille cette journée pleine de découvertes et c’est le sourire aux lèvres que nous rentrons au navire.
Alors que la Nanook reprend sa route vers le Sud en direction d’Heleysundet, l’une de nos guides revient sur les observations du jour, tant géologiques que fauniques, avant de nous présenter l’itinéraire du lendemain.
Le détroit d’Hinlopen est un lac dans lequel les icebergs bleus détachés de la calotte de la Terre Olav V se reflètent. C’est dans cette ambiance invitant au silence et à la contemplation que notre journée s’achève. Nous allons nous coucher en sachant que demain nous réserve encore de belles surprises.
Nous nous sommes abrités hier soir dans la baie de Binnebugta, derrière l’île de Wilhelmoya. Un endroit perdu où personne ne va jamais …
Nous y sommes toujours pour le petit déjeuner… Celui-ci va être très très rapide ! Encore une fois, c’est un ours qui déambule sur la grève et qui vient à notre rencontre. Un jeune curieux avec une tête au poil foncé et qui n’hésite pas à se mettre à l’eau pour nous suivre alors que nous nous éloignons. Son museau pointu restera noir malgré le passage à l’eau de mer. Et ce n’est pas fini, puisque tout proche de la falaise d’à côté, une mère et son ourson sont aussi en observation. Ces messieurs dame finissent par se coucher et ne s’intéressent plus à nous. Il faut dire qu’un restant de carcasse de phoque git au bas de la petite dénivellation sur laquelle nos ours rêvent à présent.
Nous sommes maintenant au chaud sur le Nanook et Christophe en profite pour nous parler des petits animaux sous-marins et du merveilleux ballet du plancton. Des organismes que nous avions déjà observés il y a quelques jours en se penchant sur nos zodiacs. Sans plancton, point de vie … Et la vie sous la mer propose une diversité immense dans les formes, les mœurs et les couleurs. Vive le Krill, les Copépodes, les Cténophores, les Groseilles de mer et les Chaetognates !
Nous passerons le détroit de Heley, nommé selon le responsable de la flotte baleinière de la Compagnie de Moscovie en 1617. Ce détroit qui sépare les îles de Barentsoya et l’île du Spitzberg est extrêmement sensible aux courants de marée qui sont assez fort (jusqu’à 10 nœuds !).
Le brouillard a pointé son nez lorsque nous arrivons vers le glacier Negribreen, nommé d’après le géographe Italien, le baron Négri fondateur de la société de géographie. C’est le plus grand glacier du Spitzberg qui se jette dans le secteur nord-ouest du Storfjorden, avec un front de près de 30 km, le plus long de tous les glaciers du Svalbard, là où il atteint la mer. Il y a exactement 8 ans, en juillet 2017, il a atteint des vitesses maximales de 22 mètres par jour !. Cela représente une accélération environ 200 fois supérieure à la vitesse d’écoulement normale du glacier ! Le projet d’accès SIOS « Negribreen Surge » étudie ce mouvement rapide et ses implications pour le glacier en utilisant des données satellitaires combinées à des données de terrain. Ces connaissances sont nécessaires pour mieux comprendre le rôle de la crue des glaciers dans le système arctique et l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale.

Nous nous sommes approchés autant que possible en naviguant avec nos minuscules zodiacs dans un dédale d’icebergs petits et grands, de toutes beautés. Cette croisière intérieure est magnifique. Le ciel gris renforce l’éclat des photos, et de temps en temps, nous éteignons nos moteurs pour profiter de ces moments hors du temps. Personne ne veut rentrer …. Et pourtant, après deux heures dans un froid vif, mais oublié, il faut regagner le bord. D’autant plus que le brouillard qui nous avait laissé découvrir la majesté des lieux, revient rapidement.
Nous sommes bien seuls dans cette partie du Svalbard. Sur la carte, seul l’Ocean Nova trace lui aussi sa voie vers le sud… On pensait aller faire un débarquement à Sundneset, nommé en l’honneur d’un autre responsable de la Compagnie de Muscovie, pour aller voir la cabane « Würtzburger Hütte » qui a été construite en 1959 pour l’expédition géoscientifique dirigée par le géographe allemand Julius Büdel. Elle a été utilisée de façon saisonnière pour des recherches géomorphologiques jusqu’en 1967.
On pensait ….Il est 21h …. Et bien non, pas de soirée tranquille ! Pas une, pas deux, pas trois, …. Mais bien sept formes arrondies qui ne laissent aucun doute. Nos guides les avaient déjà repérés depuis belle lurette. On distingue bien quelques-unes d’entre elles, allongées, éparpillées sur la toundra. Et ce sont bien deux ours debout sur une carcasse de morse ! Ça grogne, et ça arrache de gros morceaux de gras. Un plantigrade, le museau rouge, s’en va, repu, remplacé par un autre. Mais cela ne se passe pas très gentiment. C’est pourtant le plus « petit » des deux qui menace l’arrivant et le force à attendre son tour. Scène incroyable d’une bataille éphémère mais violente ! Il y a finalement assez de nourriture pour deux. Un autre jeune attend son tour mais essaie tout de même de forcer la hiérarchie. Il se fait remettre à sa place « aussi sec ». Il y a aussi deux renards polaires qui tournent autour du festin. L’un est bicolore, l’autre encore blanc. Ils attendront aussi leur tour. Mais pendant que nous sommes sous l’émotion de ces spectacles extraordinaires, c’est un huitième ours qui arrive ! Que vous dire de plus.
Nous sommes littéralement « scotchés » à ce décor magique. Et le soleil arrive … Nous retournons, à un moment donné, dans nos cabines pour continuer de rêver. Demain sera un autre jour…

Nous sommes toujours du côté sud de l’île de Barentsoya. La température est de 6 degrés, la mer est calme, la visibilité est excellente et le ciel est gris Arctique. Comme ce sont nos passagers qui en parlent le mieux, c’est à eux que nous avons demandé exceptionnellement leurs impressions de notre journée du 21 juillet.
Nous naviguons seuls entre des icebergs aux couleurs bleutées, turquoise transparent, avec tout le fond l’immense glacier Negribreen. Je pourrais me sentir blasée après avoir vu les fjords d’Illulissat, mais il n’en est rien. Le Svalbard se révèle étonnant avec des paysages si majestueux. Je me sens petite face à cette nature, sereine et tellement chanceuse.
Alors, qu’est-ce que c’est que ce magnifique coup ? Magnifique bain, jeu d’ours polaire, culbute, plongeon, jeu avec les algues. Qu’est-ce qu’il était curieux de tout ! Que d’ours, que d’ours, que d’ours. Puis, je fais le morse. Ravi d’avoir vu ces ours se disputer cette carcasse de morse et entendre leurs grognements. Et cet ours si curieux venant nous rendre visite à la nage.
Cette sensation de puissance, il défend son chez-lui. Je suis là, regarde-moi bien, mais ne t’approche pas. Et ce matin, le jeune ours qui s’est approché et ne se sentant pas menacé, a commencé à jouer avec les algues. Quel spectacle pour nous, sans parler des grognement du gros pépère, qui résonnait. Depuis hier soir, nous assistons au banquet des ours qui se dispute une carcasse de morses. Chacun a son propre caractère. Ours timide, ours grogneur, ours bagarreur, ours curieux, ours dévoreur, ours nageur. Quel beau spectacle inattendu et inoubliable. Merci la nature.
C’était trop bien, des ours, une sieste et une conférence.
Une sacrée soirée avec des ours offrant un spectacle merveilleux. Mais le lendemain matin, ce lundi 21 juillet, la féerie se poursuit avec un maître majeur merveilleux et presque audacieux vis-à-vis de nos zodiacs. Ouf !
Le matin, intéressant de voir le comportement des ours au sol, en mer et surtout entre eux. Surtout le repas, l’attente, des oiseaux pour le nettoyage de la carcasse, le renard qui n’est toujours pas très loin, très rapide.
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 ours aux dires des spécialistes. Moi qui ai du mal à compter, j’en ai vu beaucoup. Quatre qui se délectaient d’un morse. Un champion de natation et quelques autres répandus dans la toundra. Sans oublier le renard qui maraudait aux alentours. Merci aux ours, aux renards et aux guides pour le spectacle et ce moment suspendu.
Nous vous remercions aussi de ces moments formidables en votre compagnie.
Cette nuit, nous voguons vers notre prochaine destination dans le Hornsund pour une nouvelle aventure.
Après avoir contourné le sud du Spitzberg, nous voici ancrés devant le site de Gnålodden, dans le Hornsund. Ce fjord d’une trentaine de kilomètres de long et d’une dizaine de kilomètres de large fut nommé en l’honneur du baleinier Jonas Poole. Gnålodden se trouve au pied de la falaise à oiseaux Gnålberget (790 m). En raison de la topographie, la toundra ne subsiste que dans les environs immédiats de Gnålodden, là où une vaste colonie d’oiseaux marins niche dans les escarpements. Leurs fientes fertilisent la végétation, offrant un contraste saisissant dans ce paysage arctique.
Gnålodden attira très tôt l’attention des premiers visiteurs, car il s’agissait de l’un des rares sites de débarquement possible dans la région. Aux XVIIIe et XIXe siècles, une petite hutte de chasse pomore y fut érigée, dont il ne subsiste aujourd’hui que peu de traces.
Nous entamons l’ascension de la falaise. Le paysage est spectaculaire, sublimé par une météo exceptionnellement clémente. La vue sur le Hornsund est tout simplement splendide. Soudain, en contrebas, de petites silhouettes s’agitent. Une renarde trottine vers son terrier, tandis que deux jeunes renardeaux jouent ensemble : ils se mordillent, se renversent, galopent à toute allure avant de s’immobiliser net… puis reprennent de plus belle ! Depuis notre position élevée, l’observation est idéale. Un troisième renardeau à la fourrure estivale dense et bicolore s’approche calmement de nous, puis grimpe au-dessus de notre position dans les rochers. Ce sont des instants d’une rare intensité. Pour cette ultime escale pédestre au Svalbard, le souvenir est impérissable.
La hutte de trappeur, dans sa forme actuelle datant de 1919, attire tous les regards. Pendant plusieurs décennies, elle fut utilisée par des chasseurs norvégiens, car le Hornsund avait la réputation d’être un excellent territoire de chasse à l’ours et au renard polaire. La cabane est très bien conservée, et dans le livre d’hôtes figurent des noms emblématiques comme Henry Rudi et Odd Ivar Ruud. Nos guides en ouvrent la porte et une fenêtre, nous permettant de visiter cet intérieur fascinant. La pièce est spacieuse et plusieurs d’entre nous s’imaginent y passer quelque temps, immergés dans ce cadre somptueux.
Le nom de Wanny Woldstad, figure légendaire de l’ère des trappeurs et première femme trappeur au Svalbard, est étroitement lié à ce lieu. Elle y séjourna dans les années 1930. Au musée polaire de Tromsø, on peut lire à son sujet :
« Voilà une femme qui se démarque des autres. Considérée comme leur égale par les trappeurs, elle a, plus qu’aucune autre femme, marqué l’histoire du Svalbard. »
Sa vie a captivé l’opinion publique. Après la Seconde Guerre mondiale, elle devient conférencière à la radio et dans les établissements éducatifs du nord de la Norvège. En 1956, elle publie son livre The First Female Trapper in Svalbard, dans lequel elle raconte son quotidien au cœur d’une nature à la fois sauvage et majestueuse.
Mais l’heure est venue de regagner le navire — et, cette fois, de quitter véritablement le Svalbard. Nous passons devant la station scientifique polonaise, occupée toute l’année. Longtemps, nous restons à l’arrière du Nanook, le regard tourné vers les montagnes et les glaciers de cet archipel extraordinaire qui s’éloignent lentement.
En pleine mer, en route vers le Groenland, nous survolons désormais des profondeurs atteignant plus de 2 000 mètres. Christophe nous invite alors à une conférence passionnante sur les abysses, leurs mystères et les défis qu’ils représentent.
Mais ceci… est une autre histoire.
La mer du Groenland s’est montrée clémente toute la nuit, nous berçant de son onde régulière. Le Nanook poursuit sa route en direction de la côte Est du Groenland, descendant progressivement sous les 75° de latitude Nord. Le soleil est au rendez-vous ce matin, et la visibilité est excellente. L’occasion de profiter de ces excellentes conditions de navigation pour guetter la surface de l’eau à la recherche de cétacés. Sur les ponts extérieurs, les jumelles à portée d’œil, nous sommes attentifs aux moindres oscillations à la surface de l’eau, au moindre souffle indiquant la présence de baleine.
Ici, au milieu de la mer du Groenland, nous prenons conscience de notre isolement : les oiseaux marins tels les fulmars boréals se font plus rares, jusqu’à complètement disparaître par moment. Il n’y a plus que nous et la mer dans toute son immensité.

Alors qu’une nappe de brume nous fait perdre la vue sur cette grande étendue bleue, nous regagnons la douce chaleur du navire où notre guide Élodie nous parle du renard polaire, de son écologie en tant qu’espèce parfaitement adaptée aux extrêmes conditions de l’Arctique, revenant notamment sur la dernière observation que nous avons réalisée sur le site de Gnålodden avant de quitter l’archipel du Svalbard. Les scènes de jeu entre les deux renardeaux, moment exceptionnel immortalisé en vidéo, nous font sentir de nouveau privilégiés d’avoir été témoins de ces moments de vie. Notre guide revient également sur des observations des jours passés sources de questionnements, comme cet os partiel trouvé sur la plage d’Eolusneset, s’avérant être la partie supérieure d’un crâne d’ours, ou encore les différentes sous-populations d’ours dans l’Arctique, avec leurs statuts actuels respectifs. Enfin, un point est fait sur notre position, ainsi que sur la carte des glaces au niveau des côtes groenlandaises. Celle-ci nous indique une ouverture progressive de la banquise: un signe positif pour l’étape suivante de notre voyage. Toutefois, la patience est de mise, car ici les vents et les courants sont les maîtres du jeu, et ils décident de la manière de distribuer les cartes!
En fin de matinée , la brume est de retour et s’installe jusqu’en milieu d’après-midi. Dans cette ambiance cotonneuse, certains arpentent les ponts, d’autres se reposent, dans l’attente d’une ouverture dans le ciel.
Celle-ci se produit en fin d’après-midi: la mer est toujours aussi paisible, et de nouveau des fulmars boréals sont visibles. Leur vol, comme suspendu dans le temps, est typique de cette grande famille des Procellariidés dont fait partie son cousin l’albatros, frôlant avec élégance la surface de l’eau de ses ailes grises. Leur retour à ce moment de notre trajet, alors que nous sommes plus que jamais au milieu de la mer du Groenland, étonne, mais plus encore, est le signe d’une présence autour de nous. Soudainement, un souffle gigantesque ne laisse plus de place au doute: dans le sillage des oiseaux marins, des baleines ! Vite, tout le monde sur le pont, les jumelles vissées aux yeux, le spectacle tant espéré se déploie avec majesté. Bientôt, plusieurs formes se détachent de la surface de l’eau : d’abord des dos sombres, dépassant à peine, qui s’étirent pendant plusieurs secondes, montrant bien la grande longueur de l’animal. Nos yeux émerveillés contemplent le plus grand animal au monde: la baleine bleue, pouvant atteindre 30 mètres de long pour un poids de 150 tonnes.

Sa nageoire caudale, placée très à l’arrière de son dos, est rarement visible lorsqu’elle est proche de la surface. Au moins trois individus évoluent ensemble, dans un ballet organisé typique d’une phase d’alimentation. Baleine mysticète, la baleine bleue est une engouffreuse, capable de filtrer avec ses fanons plusieurs dizaines de mètres cubes d’eau en une seule fois, pour ne garder que les petits poissons ou crustacés dont elle s’alimente. A proximité, un autre dos attire notre attention : plus noir, celui-ci ressort davantage de l’eau, et laisse voir une petite nageoire dorsale, bien dessinée et inclinée vers l’arrière, typique des rorquals communs. Légèrement plus petit, il n’en reste pas moins d’une grande longueur, pouvant atteindre les 25 mètres. La scène est émouvante, magique : nous sommes au milieu des deux plus grands animaux au monde, évoluant dans toute leur splendeur et leur grâce fascinantes. Plus un mot, nous contemplons, prenant la mesure de ce dont nous sommes témoins, cette cohabitation bienveillante de ces deux espèces. Poursuivant leur activité, elles s’éloignent progressivement, nous laissant les yeux et le cœur remplis de cette rencontre hors du temps.
Notre guide Christophe en profite pour nous parler de l’acoustique du monde marin, retraçant l’évolution des techniques d’acquisition jusqu’à l’enregistrement actuel des sons des profondeurs, et notamment de ses habitants: cétacés, poissons et même crustacés. Une découverte de ce monde peu connu sur lequel nous naviguons, semblant si silencieux et pourtant lieu d’échanges et de communication entre tous ceux qui y vivent.
Dans la soirée, nos guides nous annoncent une surprise pour la journée de demain : c’est sur l’île isolée de Jan Mayen que nous débarquerons! Une opportunité unique de mettre le pied sur cette île volcanique dont le sommet, le Beerenberg, culmine à 2277 mètres.
Alors que la brume entoure de nouveau le navire, c’est sur cette pensée que chacun va se coucher : que le soleil soit au rendez-vous demain pour profiter de ce lieu exceptionnel ! Demain est un autre jour…
Nous naviguons désormais en pleine mer du Groenland. La houle est présente, mais pas suffisamment forte pour faire valser la vaisselle dans la cuisine. Le brouillard, lui, est épais, mais n’empêche pas quelques observateurs aguerris d’apercevoir les dos de baleines. Ce sont des rorquals, en pleine alimentation, profitant des remontées de nutriments qui nourrissent copépodes et petits poissons.
C’est alors que se profile l’île de Jan Mayen. Cette escale n’était pas prévue au programme, mais nos guides ont réussi à obtenir une autorisation exceptionnelle de débarquement sur ce confetti volcanique perdu au milieu de l’Atlantique Nord. Très peu de navires y accostent : brouillard persistant et mer souvent agitée rendent les approches difficiles et incertaines.
Située à environ 500 km au nord de l’Islande, à la jonction des mers de Norvège et du Groenland, Jan Mayen fut découverte au XVIIIᵉ siècle par des baleiniers. Elle devient norvégienne en 1929, et abrite depuis une station météorologique et radio. L’île, d’une superficie de 377 km², est en réalité le sommet émergé du volcan Beerenberg, qui culmine à 2 277 mètres. Couronné d’un cratère d’un kilomètre de diamètre, le volcan est encore actif et recouvert en partie d’une calotte glaciaire de 115 km².

Les seuls habitants de Jan Mayen sont les 18 membres de la station scientifique, administrée par les forces armées norvégiennes. Le commandant de la station, représentant officiel du royaume de Norvège, en est également l’administrateur civil. C’est lui qui autorise (ou non) les débarquements touristiques.
Nous débarquons sur une plage de sable noir, couverte de millions de petits galets de pierre ponce, polis par la mer. Le fond de la baie nous étonne par sa végétation luxuriante : des tapis de mousses, graminées et plantes vertes colonisent les lieux. Après plusieurs jours de gris et de banquise, ce vert intense nous ravit !

Un militaire (plutôt austère, mais courtois) nous accueille et nous donne les consignes : une opération est en cours, nous devrons respecter un périmètre restreint. Cela ne limite en rien notre découverte : la plage est longue et variée. Nous longeons la falaise à oiseaux, observons des guillemots de Brünnich, passons devant les ossements d’une immense baleine et les vestiges d’une station scientifique abandonnée des années 1960.
Élodie, notre géologue, nous décrit les origines volcaniques de l’île et le Beerenberg, toujours actif. Après cette exploration pédestre, une virée en zodiac s’impose : les paysages semblent tout droit sortis d’un film de science-fiction, modelés par les laves et les éruptions passées.
La faune aviaire est abondante et peu farouche : il n’y a pas de prédateurs sur Jan Mayen. Une petite colonie de macareux niche paisiblement, et même les pétrels s’approchent à quelques mètres. Dans l’eau, nous distinguons brièvement un poisson gris d’environ 1,30 mètre, à la silhouette de requin — mais il ne s’agissait pas d’un requin du Groenland. L’animal s’éloigne paisiblement, sans que nous puissions en identifier l’espèce.
Cette escale imprévue fut une parenthèse inoubliable, une pause terrestre bienvenue au milieu de cette traversée.
De retour à bord, Élodie nous propose une présentation approfondie sur Jan Mayen, son histoire, sa géologie, son isolement. Et nous avons même eu chaud… au sens propre ! Un documentaire sur l’Arctique vient clore notre soirée après dîner, alors que l’Ocean Nova met le cap, de nouveau, vers la banquise groenlandaise…
Suivez nos voyages en cours, grâce aux carnets de voyages rédigés par nos guides.
Messages
Un bonjour à Christophe Bassous !
Et belles découvertes polaires à Christiane et Mélanie,prenez-en plein les yeux.On regrette bien de ne pas pouvoir être des vôtres,et vous souhaite d’attraper comme nous le virus des pôles.
Bonne croisière à tous!
Wouah que de souvenir … profite bien Barbara. On se réjouit de te voir sur une banquise …
Salutations aux ours, renards 🤩 et autres mammifères artiques !