Serge Guiraud
Anthropologie visuelle
1 août
14 juillet 2024
Serge Guiraud
Anthropologie visuelle
À Manaus, l’âge d’or de la ville se dévoile comme une légende fascinante, une époque florissante du XIXe et du début du XXe siècle où le latex coulait à flot. Le Teatro Amazonas se dresse comme le témoin le plus authentique de cette ère où la richesse accumulée par les seringueiros enrichissait les barons du caoutchouc. Non loin de la ville, le musée de la Borracha nous plonge dans une reconstitution saisissante des conditions de travail des collecteurs de latex.
Nous découvrons un décor de télévision qui illustre avec minutie la vie des hommes qui ont façonné cette époque. Monsieur Jaime, un homme de plus de 80 ans, partage son expérience poignante. Depuis l’âge de 8 ans, il s’adonne à la récolte du latex des hévéas. Il raconte la dure réalité de son quotidien : se lever à 1 ou 2 heures du matin pour entamer une tournée éprouvante, saigner jusqu’à 300 arbres, puis revenir pour collecter le latex. De retour à son campement, il verse le latex sur un bout de bois posé au-dessus d’un feu. Après plus de 16 heures de travail intense, il trouve enfin un moment de repos.
Avant le dîner, nous visitons la communauté de Cipia, notre unique rencontre avec une population autochtone de la croisière. Les Desana, originaires du Haut Rio Negro, nous révèlent leur vision unique du monde. Selon eux, ils seraient descendus du ciel dans le ventre d’un grand anaconda. Nous pénétrons rapidement dans la maloca pour échapper à un orage soudain qui inonde le patio du village en un clin d’œil.
Cette société, divisée en moitiés exogames, possède des instruments de musique à vent, en particulier les flûtes jurupari. Jouées par paires, ces flûtes produisent des sons mystiques, comme s’ils venaient du fond des âges.
À 6 heures du matin, le jour commence avec une première observation de la faune. L’objectif est de repérer des toucans, connus pour fréquenter cette région à cette période de l’année. En à peine quelques minutes, nous découvrons le premier ramphastidé perché au sommet d’un arbre. Dès les premières lueurs du jour, les toucans émettent un chant distinctif, décrit par le site Oiseaux Net comme des glapissements ressemblant aux cris d’un jeune chiot. Leur chant débute par une note sèche, descendante et plaintive, suivie de 2 à 4 notes aiguës et monosyllabiques.
La matinée se poursuit avec une marche en forêt de terre ferme. Raphaël et Wilson, nos guides, nous offrent une leçon de botanique fascinante, détaillant les propriétés des arbres et leur utilisation dans la pharmacopée des populations locales. Les ethnographes ont catalogué plus de 5000 plantes aux vertus médicinales employées par les Amérindiens.
Après une sieste réparatrice, nous repartons en annexes pour explorer les premières îles de l’archipel des Anavilhanas, le deuxième plus grand archipel fluvial du monde, après Mariua situé plus en amont du Rio Negro. Bien que la pluie ait quelque peu modifié notre itinéraire, elle n’entrave pas notre observation des paresseux. La pluie a légèrement modifié notre itinéraire, mais elle ne nous empêche pas d’observer les paresseux. Les animaux ont les poils mouillés par la pluie les rendant particulièrement vulnérables. Avec la température corporelle la plus basse parmi les mammifères, les paresseux risquent de passer une nuit inconfortable. Pour maintenir une température suffisante à sa survie, ils se recroquevillent et restent immobile. Demain, ils se rendront à la cime d’un arbre pour se réchauffer au soleil.
Ce matin, le Rio Negro se transforme en un vaste miroir, où les nuages se reflètent avec une clarté presque magique. Nous nous préparons pour une marche dans une forêt de terre ferme jusqu’aux grottes de Madada. C’est fascinant de découvrir ces formations rocheuses nichées au cœur de la forêt. Leur présence se comprend mieux en examinant les mouvements et déformations de la croûte terrestre causés par des forces internes. En Amazonie occidentale, les rivières comme le Rio Negro sont modelées par des failles géologiques. Le Rio Negro, par exemple, traverse une impressionnante faille normale de 70 km, qui sculpte ses rives et crée des grabens favorisant la sédimentation. Cette structure géologique a contribué à la formation de l’archipel Anavilhanas, en combinant sédimentation et phénomènes tectoniques. Certaines plaques rocheuses se sont ainsi élevées et sont désormais soumises à l’érosion, comme le montrent les grottes de Madada.
Pour atteindre ces grottes, nous marchons plus d’une heure dans un sous-bois baigné d’une semi-pénombre, offrant une balade magnifique
L’après-midi est dédiée à l’exploration des îles du Rio Negro, une rivière de 2250 kilomètres qui prend sa source en Colombie sous le nom de Rio Guainia, traverse le Venezuela, et parcourt encore 1370 kilomètres au Brésil avant de rejoindre le Solimões. Le Rio Negro fournit environ 15 % des eaux de l’Amazone.
Wilson, notre guide, a repéré une forme étrange dans les arbres. Il s’agit d’un fourmilier à collier. Cet animal plutôt nocturne dort sur une branche. Notre présence ne semble pas pertuber son sommeil. Cette rencontre est rare.
À 6 heures du matin, la forêt s’éveille, et la faune diurne remplace celle qui a vécu la nuit. Cependant, étrangement, le silence règne encore. Notre présence semble peut-être troubler les animaux. Plus tard dans la matinée, nous faisons une rencontre surprenante : un groupe de sakis satanas. Ces singes discrets se déplacent dans la canopée, mais à notre approche, ils s’éclipsent rapidement, filant au ras de l’eau.
Pour entrer dans le parc de Jaú, nous passons par un poste de vigilance qui vérifie les visiteurs. Une marche rapide nous conduit jusqu’à un samauma, ce gigantesque fromager qui semble soutenir le ciel.
L’après-midi commence par un bain dans des rapides. L’eau chaude de la rivière est un délice pour tous. Nous reprenons ensuite nos embarcations à la recherche de singes endémiques. Par chance, nous découvrons des ouakaris à tête noire dans la frondaison. Aussi craintifs que les sakis satanas, ils s’élancent sur les branches avec une rapidité déconcertante, rendant impossible leur capture en photo. Quelle journée ! Observer deux espèces rares de primates des forêts amazoniennes est un privilège réservé à peu de personnes.
Nous arrivons devant le village de Cachoeira, niché au cœur du parc national de Jaú. Ce village fait partie des trois quilombos, ces communautés historiques fondées par des esclaves échappés et leurs descendants qui ont trouvé refuge dans des endroits reculés. Ces communautés ont été des bastions essentiels de la résistance contre l’esclavage et la colonisation, développant des cultures et des traditions uniques tout en préservant un mode de vie autonome. Aujourd’hui, les quilombos bénéficient d’une reconnaissance législative spéciale au Brésil, mais ils continuent de se battre pour la reconnaissance de leurs droits fonciers et la préservation de leur patrimoine culturel.
Nous sommes guidés par quelques membres de la communauté pour explorer l’igapo, un écosystème fascinant de la forêt amazonienne. L’igapo se distingue par ses forêts inondées par les eaux noires des rivières. Par paires, nous embarquons dans de frêles pirogues, progressant lentement à la pagaie à travers les arbres amphibies. Nous cherchons les singes ouakaris noirs, mais ils se cachent habilement. Quelques chanceux parmi nous parviennent à en apercevoir, tandis que les autres se contentent du silence de la forêt inondée.
L’après-midi est consacré à une marche en forêt. Une pancarte indique 1500 mètres, mais nous découvrons rapidement qu’il en faut le double pour atteindre un point d’eau où, en cette saison, un mince filet d’eau coule. Des empreintes fraîches de jaguar rappellent que, bien que les mammifères soient souvent invisibles en Amazonie, leur présence est omniprésente.
Ce matin, nous explorons Airão Velho, une ancienne ville en ruines, témoin d’une époque où l’homme tentait de domestiquer la nature sauvage. Parmi ces vestiges, on trouve des arbres fruitiers et médicinaux plantés par les habitants, enrichissant la biodiversité de cette forêt. Les andirobas, des géants de la famille des acajous, se dressent ici fièrement. Leurs graines, riches en huile, sont connues pour leurs vertus anti-inflammatoires, utilisées par les populations locales pour traiter divers maux.
Après huit heures de navigation, nous atteignons l’archipel des Anavilhanas, un réseau complexe de terres et d’eaux. Bien que les oiseaux se fassent rares, nous partons en sortie nocturne. Le chant des grenouilles nous guide à travers l’obscurité, où nous rencontrons deux mygales. Ces arachnides se défendent en projetant des poils urticants, une technique efficace pour repousser les prédateurs.
Aujourd’hui, nous visitons la fondation Almerinda Malaquias à Novo Airão. Depuis plus de 25 ans, cette fondation enseigne l’art du travail du bois à des familles locales, leur permettant de générer des revenus grâce à la vente de pièces minutieusement réalisées. Près de là, une femme de l’ethnie Baré nous montre l’art de tisser des tamis à manioc avec des matériaux directement issus de la forêt : arumas, bois, teinture de roucou, et résine.
L’après-midi, nous naviguons à travers des cours d’eau bordés par des singes saïmiris, agiles et nombreux, qui nous accompagnent de leurs cris et acrobaties.
Dès l’aube, nous avons la chance d’observer le célèbre dauphin rose, ou boto, symbole emblématique de l’Amazonie. Ces dauphins se distinguent par leur long rostre, leurs vibrisses et la teinte rose de leur peau, qui résulte de cicatrices laissées par des combats entre mâles. Nous nous immergeons dans l’eau pour une interaction rare avec ces créatures, dans le cadre d’un projet approuvé par le ministère de l’Environnement brésilien.
L’après-midi, nous explorons le canal naturel d’Ariau, où des singes saïmiris, habitués aux touristes, se jettent sur nos embarcations à la recherche de bananes. Le soir, la journée se termine en beauté avec la célébration de l’anniversaire de Pierre, un passager, accompagné d’un gâteau d’un bleu éclatant.
Après avoir quitté les eaux noires du Rio Negro, nous entrons dans le monde des eaux blanches du Solimões. Ici, la vie animale se déploie avec intensité. Des milliers d’oiseaux, aigrettes, cormorans et anhingas d’Amérique, créent un spectacle aérien majestueux. La région de Januaca, malgré une brume épaisse due aux incendies, offre une riche biodiversité : oiseaux multicolores, caïmans, et même des paresseux. En fin de journée, nous assistons au coucher de soleil magique, avec des aigrettes et cormorans retournant à leurs dortoirs naturels.
La pluie a dissipé la brume, nous permettant d’explorer quelques igarapés de Januaca. Nous apercevons rapidement un caïman à lunettes, ainsi que des hoazins, ces oiseaux uniques aux cris si distinctifs, veillant sur leurs petits. En approchant d’une prairie flottante, cinq aras macaos s’envolent devant nous, ajoutant une touche spectaculaire à notre aventure.
Notre sortie nocturne nous plonge dans une toute autre dimension de la forêt, où chaque bruit devient amplifié, éveillant notre imagination.
Nous approchons de Manaus pour notre dernière journée. La réserve naturelle de Janauari est notre ultime étape d’observation. Malgré le calme inhabituel de la forêt, nous parvenons enfin à entendre les cris puissants des singes hurleurs en fin de journée.
La soirée se termine avec un dernier dîner sur le pont supérieur, accompagné de musique brésilienne. Notre aventure en Amazonie touche à sa fin, laissant en nous le souvenir d’une région qui révèle ses secrets à ceux qui prennent le temps de l’écouter.
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