Xavier Allard
Arctique
14 juillet
27 juillet 2025
Xavier Allard
Arctique
Christian Kempf
Président Fondateur de Grands Espaces
Alain Desbrosse
Spitzberg
Frédéric Bouvet
Croisières Polaires au Spitzberg
Jean-Marie Seveno
Photographe
Dr Laurent Balp
Médecin d'expédition
Mathilde Gardin
Directrice de croisière - Production croisières
Certaines photos photos d’illustrations ont été prises lors de précédentes croisières au Spitzberg. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.
Après un dîner chaleureux et une nuit reposante au Radisson Red à Oslo, chacun se retrouve au petit matin avec l’excitation palpable des grands départs. Très tôt, nous prenons la direction de l’aéroport pour embarquer à bord du vol vers Longyearbyen, porte d’entrée de l’archipel du Svalbard.
À midi, l’avion se pose sous un ciel limpide. Longyearbyen s’étend devant nous, petite ville minière nichée entre mer et montagnes.
Un temps libre nous permet de nous imprégner de l’atmosphère arctique : certains choisissent de visiter les musées, d’autres flânent dans les rues animées par les maisons colorées et les souvenirs de la ruée vers le charbon.

En fin d’après-midi, nous rejoignons enfin notre bateau. Chacun découvre sa cabine, prend ses marques à bord, tandis que les amarres se préparent à être levées. Le chef d’expédition nous réunit dans le salon pour présenter le programme des jours à venir. Il partage les grandes lignes du voyage, les règles de sécurité, et surtout, il fait naître en chacun de nous une impatience joyeuse : l’aventure commence vraiment, et nous avons tous hâte de prendre la mer et de découvrir les merveilles de l’Arctique.
Nous nous réveillons après une longue nuit de navigation qui nous a conduits depuis la rade de Longyearbyen jusqu’au pied du célèbre glacier du 14 Juillet, nommé en mémoire des expéditions polaires du prince Albert Ier de Monaco. Sur des eaux mouchetées des glaces vêlées par la langue glaciaire qui termine sa course dans les eaux laiteuses du fjord, les oiseaux de l’Arctique nous souhaitent la bienvenue : mouettes tridactyles, fulmars et macareux moines, nicheurs dans les falaises qui barrent l’entrée du site.

Après le petit-déjeuner, notre navire poursuit sa route à l’intérieur du fjord de la Croix pour venir ancrer devant une petite cabane orange, posée là sur un vaste glacis morainique. Fraîchement repeinte du bel orange de la compagnie Hapag-Lloyd, il s’agit d’une hutte qui servit, dès le début des toutes premières croisières touristiques, de point d’escale pour les bateaux venus débarquer ici, au siècle dernier, leur cargaison d’explorateurs polaires. L’intérieur, équipé comme toute cabane de trappeur de son poêle, de sa table et de sa couchette, a la particularité d’être entièrement recouvert des écussons des navires qui visitèrent ces lieux. Une collection de flacons, indispensables aux innombrables libations qui égaillèrent ces soirées polaires, encombre encore la tablette du coin cuisine.
Après la visite de ce lieu improbable en plein monde polaire, les passagers se répartissent en trois groupes : le premier reste à bord d’un zodiac pour aller explorer le fjord, tandis que le reste du corps expéditionnaire choisit soit la grande balade sous la houlette de Xavier, soit la « petite marche » avec Alain et Frédéric. Chacun des trois groupes se régale d’observations diverses et variées : rennes broutant la rare végétation de la toundra caillouteuse, phoques veaux-marins venant s’échouer sur les roches de la plage à marée descendante, petites fleurs et gros cailloux laissés en désordre apparent, coloré de lichens.

Pendant le déjeuner, Ocean Nova reprend sa route en direction du fond de la baie où trône en majesté l’impressionnant front immaculé du glacier de Lilliehöök. Les zodiacs mis à l’eau, nous nous enfonçons dans le brash, cette bouillie de glaçons qui encombre la baie, fruit du vêlage incessant du glacier venant fracasser ses séracs dans les eaux laiteuses. Les bourguignons et petits icebergs, peuplés d’organismes planctoniques, sont le terrain de chasse des mouettes tridactyles pêchant le krill. Un gros phoque barbu nous donne l’occasion d’une belle approche silencieuse du bourguignon sur lequel il se dore au soleil, sa tête et ses moustaches élégamment frisottées, toutes teintées de rouille, résultat de ses longues heures à farfouiller les boues sous-marines à la recherche de sa nourriture de poissons de fond.

En soirée, sous un soleil toujours resplendissant, nous remontons la côte des 7 Glaciers pour embouquer l’entrée de la baie de la Madeleine, ce site au lourd passé marqué par la première ruée vers l’or de l’archipel : celle de la chasse aux baleines aujourd’hui disparues. Bien que les morses aient également fait l’objet de massacres ayant failli exterminer l’espèce, leur protection porte aujourd’hui ses fruits : tout au long de la côte, de petits groupes batifolent dans les eaux froides, plongeant régulièrement à la recherche de leur nourriture favorite, les coques dont ils font bombance.

La journée se terminera, comme il se doit en ce début de croisière, par le pot du capitaine et continuera, jusque tard en soirée, au bar, sous le soleil de minuit, en l’honneur des 40 printemps de notre chef d’expédition.
Après la belle soirée d’hier soir, passée à naviguer dans des lieux chargés d’histoire — Smeerenburg, le site d’Andrée, l’île aux Danois —, le bateau a poursuivi sa route toute la nuit vers notre prochaine destination : le Liefdefjord (le fjord de l’Amour). Au fond de ce fjord se trouve le glacier de Monaco, point de départ de notre première activité matinale.
Après le petit-déjeuner, les opérations de croisière en Zodiac se mettent en place. Nous nous dirigeons d’abord vers le glacier de Seliger, qui fut le cartographe du Prince Albert Ier de Monaco. Il y a dix ans, ce glacier formait encore un seul front de glace avec celui de Monaco. Mais depuis 2016, les deux glaciers ont commencé à se séparer et sont aujourd’hui distants de plusieurs centaines de mètres. Sur notre droite, nous pouvons observer les deux glaciers d’Ida et Emma, qui portaient les prénoms des filles de Seliger. La langue glaciaire d’Ida ne se déverse plus dans la mer depuis bien longtemps, tandis que celle d’Emma s’est retirée au fond d’une vallée glaciaire.
Avant de repartir, un phoque barbu curieux vient nous rendre visite, nous offrant l’occasion d’admirer l’agilité aquatique de ces mammifères marins. Nous assistons à de nombreux vêlages sur les deux glaciers, libérant des icebergs de différentes tailles. Les craquements qui accompagnent ces effondrements nous rappellent la puissance de la nature et nous incitent à rester à une distance prudente.
Un peu plus loin, Xavier nous signale la présence d’un autre phoque barbu, allongé sur un petit iceberg de type bourguignon. Très placide et peu farouche, il se laisse photographier sous tous les angles : un beau mâle bien dodu. Il est temps de rejoindre l’Ocean Nova, mais pour cela, nous devons traverser le brash, cette zone d’eau encombrée de glace qui nous sépare du bateau.
Pendant le déjeuner, l’Ocean Nova se déplace vers notre prochaine destination : Texas Bar. Une petite heure de navigation suffit pour y parvenir. Les opérations de débarquement commencent rapidement et les passagers sont répartis en deux groupes : les randonneurs et les grands marcheurs. Nous visitons d’abord la cabane de trappeur, avant de partir en balade autour du site : certains s’approchent du glacier, d’autres préfèrent observer les roches et la flore environnante.
Pendant ce temps, une croisière en Zodiac est proposée aux non-marcheurs. Elle les conduit jusqu’au glacier d’Emma, niché dans sa vallée souvent venteuse. Nous y découvrons des « garderies » d’eiders à duvet et de nombreux autres oiseaux. Après cette belle après-midi de découvertes, il est temps de regagner le bateau pour quitter le Liefdefjord et mettre le cap plein nord, en direction de la banquise. De loin, nous apercevons un mât orange qui n’est en réalité que le mirage de l’amer orange situé sur l’île de Moffen. Nous y arrivons vers 19h30 et pouvons admirer une échouerie de morses. Certains, plus curieux, viennent même jusqu’au bâbord du bateau pour nous saluer.
Il est temps de poursuivre notre route vers la banquise, objectif de demain. La mer est calme et promet une nuit paisible.
Toute la nuit, l’Ocean Nova a poursuivi sa route en direction du nord-est. Les premières plaques de banquise apparaissent pendant notre petit-déjeuner et, bientôt, les chocs de la coque contre les floes résonnent à travers le navire. Rapidement, nous gagnons les ponts extérieurs ou le salon panoramique pour profiter de notre entrée dans le monde des glaces. Peu à peu, la banquise se densifie et, à 9h30, l’Ocean Nova vient buter contre un pack impénétrable. Nous obliquons alors vers l’est, à la lisière des eaux praticables, pour profiter de ce paysage glacé et poursuivre la recherche et l’observation de la faune locale. Autour de nous, les oiseaux marins et surtout les phoques se montrent nombreux. Allongés sur la glace, phoques annelés et phoques barbus abondent, et nous approchons l’un de ces derniers de près. Plus rare, nous avons également la chance d’observer un magnifique phoque à capuchon. Ce grand phoque au pelage argenté marqué de taches noires possède un capuchon noir, sorte de « trompe » qu’il peut gonfler de manière impressionnante.
Pendant le déjeuner, nos guides se relaient à la passerelle pour tenter d’apercevoir un ours polaire, seigneur du royaume de la banquise. Mais sans succès. En début d’après-midi, nous embarquons à bord des zodiacs en direction d’une grande plaque de glace repérée par notre équipe d’expédition, dans l’espoir d’y débarquer. Marcher sur la banquise : un rêve que nous n’osions même pas imaginer ! Nous profitons, pendant plus d’une heure, de ce décor hors du temps, observant autour de nous fissures et hummocks, lacs de fonte aux reflets bleutés, la dérive constante des floes et le vol élégant de quelques mouettes blanches. Surprise : un verre nous est même servi sur la glace pour célébrer cet instant exceptionnel.
L’Ocean Nova reprend ensuite sa route vers le nord et, à 17h00, nous franchissons le cap symbolique du 82e parallèle : seulement 8 degrés de latitude, soit 888 kilomètres, nous séparent encore du pôle Nord ! Xavier nous réunit ensuite au salon pour une conférence passionnante sur le monde des glaces, suivie d’un atelier animé par Jean-Marie et Laurent à la bibliothèque, pour tous ceux qui souhaitent progresser en technique photographique. Frédéric nous propose ensuite un récapitulatif sur le phoque à capuchon observé le matin, avant que notre chef d’expédition ne nous présente le programme du lendemain. Puis vient l’heure de passer à table.
Ainsi aurait pu s’achever notre belle journée dans la banquise. Mais le surprenant royaume de la mer gelée réserve parfois le meilleur pour la fin : un ours a enfin été repéré au loin, sur la glace ! Nous quittons aussitôt nos tables pour rejoindre les ponts supérieurs, tandis que le commandant rapproche le navire en douceur d’un énorme mâle occupé à dévorer un phoque barbu qu’il vient sans doute de tuer quelques instants plus tôt. Mais nos réjouissances ne s’arrêtent pas là : à quelques centaines de mètres, allongé près d’un hummock, un autre ours se repose. Il se redresse soudain, et la surprise est totale : ce n’est pas un seul individu, mais deux — une femelle et son jeune — qui s’avancent maintenant vers le mâle et sa proie !
L’heure suivante est un véritable festival d’observations incroyables : tandis que le mâle continue à consommer sa prise, la femelle et son petit, âgé de 6 ou 7 mois, approchent prudemment, espérant récupérer quelques restes. Mais un mâle adulte représente un danger mortel pour un jeune, et la prudence s’impose. Les interactions sont nombreuses, tant entre les deux adultes qu’entre la mère et son petit. Finalement, la femelle ne parviendra à grappiller que quelques morceaux de graisse… peut-être aura-t-elle plus de chance une fois le mâle rassasié. Le goéland bourgmestre et les mouettes blanches, attirés par la scène, auront été un peu plus chanceux. À regret, il nous faut finalement laisser cette scène fascinante derrière nous et reprendre la route vers le sud.
Après le dîner, Christian Kempf revient sur cette observation remarquable et nous détaille tous les comportements auxquels nous avons assisté. Et c’est les yeux encore remplis d’images incroyables de glace, de phoques et d’ours que nous rejoignons nos cabines, au terme de cette journée bien remplie.
Nous sommes réveillés par un agréable bercement du bateau. À l’entrée du détroit d’Hinlopen, un léger coup de vent forme des creux de plus d’un mètre qui balancent doucement notre navire. Heureusement, le vent retombe rapidement et, dans le détroit proprement dit, la mer est très calme. Notre objectif ce matin est l’extraordinaire falaise aux oiseaux d’Alkefjellet. Mais la merveilleuse observation des trois ours sur la banquise hier soir a retardé notre arrivée. Nicolas nous propose donc une excellente conférence sur le Norvégien Fridtjof Nansen, scientifique, explorateur polaire, diplomate et humanitaire, récompensé par le prix Nobel de la paix.
Alkefjellet est un haut lieu de l’ornithologie arctique : plus de cent mille couples de Guillemots de Brünnich se rassemblent ici pour pondre un unique œuf directement sur la dolérite noire, un type de basalte qui forme des tours atteignant près de 200 mètres de hauteur. Cette roche s’érode en formant de petites vires plus ou moins horizontales, qui accueillent les guillemots alignés et serrés, tels des livres sur d’innombrables étagères. Sauf que ces livres noirs et blancs sont bruyants et odorants, qu’ils s’envolent et atterrissent sans cesse, donnant l’impression d’une nuée d’abeilles infinie devant une ruche démesurée. Une visite en zodiac ici est une expérience sensorielle totale, qu’aucune description, même talentueuse, ni aucune image ne peuvent vraiment restituer : il faut venir pour le vivre.
Dès les zodiacs rembarqués, l’Ocean Nova met le cap sur Torellneset, une pointe de graviers qui marque l’entrée sud-est d’Hinlopen et accueille généralement une colonie de morses que nous espérons approcher à pied, après un débarquement en zodiac. Une trentaine de morses sont bien là, affalés paresseusement… mais un ours polaire est aussi présent, bouleversant notre plan. Depuis cette année, il est en effet interdit d’approcher un ours à moins de 300 mètres. Il n’est donc pas question de débarquer à terre (on ne débarque jamais lorsqu’un ours est présent), ni même de faire une croisière en zodiac pour tenter de voir l’ours et les morses de plus près.
C’est alors que la nature nous offre une magnifique consolation : un petit groupe de bélugas longe la rive, juste devant les morses et l’ours blanc ! Les trois mammifères les plus emblématiques de l’Arctique réunis en un seul coup d’œil, là, devant nous, pour un instant fugace mais inoubliable.
Notre plan B — il faut toujours avoir un plan B, et même C, D ou E dans les régions polaires où tout peut changer très vite — consiste, après avoir contourné la pointe Torell, à effectuer un petit raid en zodiac le long de la côte de ce désert froid, en direction de la baie de Vibe où l’Ocean Nova viendra nous récupérer. Nous y observons, outre quelques morses dans l’eau et des familles d’eiders à duvet, des troupes d’oies à bec court qui s’enfuient devant nous. Elles sont particulièrement craintives car vulnérables : elles ne peuvent plus voler, ayant perdu toutes leurs rémiges d’un coup pour permettre leur renouvellement.
Après le dîner, cette journée déjà bien remplie se prolonge par une troisième croisière en zodiac, pour longer les premiers kilomètres de la plus longue falaise de glace de l’hémisphère Nord : 150 kilomètres de front, 25 mètres de hauteur en moyenne. C’est le Bråsvellbreen, un émissaire de la grande calotte glacière de la Terre du Nord-Est. La mer, aussi lisse qu’une huile, est parsemée d’icebergs bleutés et de glaçons sur lesquels quelques morses paressent ici et là. Le ciel est tissé de mille nuances de gris, et de tonitruantes cascades se déversent du haut de la falaise : une merveilleuse fin de journée polaire.
L’Ocean Nova s’est engagé dans le Freemansundet, le large détroit séparant les deux îles de Barentsøya au nord et Edgeøya au sud, sur une mer quasi d’huile sous un soleil voilé. Les reliefs de ces deux îles, constituées de dépôts sédimentaires de l’ère secondaire, ont pris des formes arrondies, échancrées de canyons abritant des colonies de mouettes tridactyles et des troupeaux de rennes broutant les pentes couvertes de toundra.
Nous arrivons bientôt en vue de Kapp Lee, un site connu pour ses échouages de morses. Un beau tas d’une cinquantaine de gros mâles pustuleux, puissamment dentés, ronfle au soleil. La moitié des passagers entame une approche par la plage jusqu’à une trentaine de mètres, tandis que l’autre partie vogue sur une mer ensoleillée à la découverte de la pointe dominant l’anse sableuse. Une famille de renards polaires, un adulte et son jeune, régale l’aéropage flottant de ses courses et pirouettes incessantes, puis vient batifoler dans la toundra qui s’étend en arrière du groupe de morses. Des groupes de mouettes tridactyles remontent le rivage, chargées de leur pêche nourricière, piratée à deux reprises par un labbe parasite dont nous pouvons admirer les prouesses en vol, pourchassant une mouette jusqu’à lui faire régurgiter sa précieuse cargaison.
À l’arrière du groupe de morses, un immense ossuaire blanchi au soleil témoigne des massacres passés, perpétrés pour extorquer l’ivoire à ce seigneur de l’Arctique. Ceux qui dorment maintenant bien tranquillement, entre pets, rots et autres émanations corporelles odorantes, n’imaginent pas ce qui fut réservé à leurs ancêtres par la cupidité des hordes de tueurs sanguinaires venus d’Europe qui, après avoir éliminé les troupeaux de baleines, s’en prirent à ces innocents mangeurs de coquillages.
Après le déjeuner, nous poursuivons notre route vers le sud-ouest pour atteindre un site où nous partons en excursion en zodiac devant le front glaciaire qui barre le fond du fjord de Hvalvågen, la « voie des baleines ». Dans une ambiance laiteuse de brume et de stratus bas, déclinée en mille nuances de gris, de blanc et de bleu, un grand glacier s’appuie sur le pied de montagnes schisteuses noires, dont les débris fracassés par l’action du gel/dégel viennent enrober d’une gangue d’éboulis les deux bords du fleuve de glace. Les eaux verdâtres sont chargées d’une épaisse farine glaciaire charriée par les eaux de fonte. Le recul du géant a laissé une île morainique sur un côté de la baie, île chapeautée par sa pyramide de glace recouverte de boue noire : l’Île Noire, digne de quelque épopée de Tintin.
Nous rentrons en fin d’après-midi dans le havre chaud, sec et accueillant du confortable Ocean Nova, pour nous régaler du copieux et délicieux dîner concocté par Floro, notre chef cuisinier à bord. Les crêpes Suzette auront, ce soir encore, l’honneur des dents de nos fourchettes affamées.
Après avoir passé six jours au Svalbard, nous quittons l’archipel vers minuit, en longeant Sørkappøya, soit aux alentours de 76°25’ de latitude Nord.
À propos d’horaires, il y a trois heures de décalage entre le Groenland et Paris. Plutôt que de subir cette différence d’un seul coup, notre équipe de guides nous propose de reculer progressivement nos montres d’une heure par jour pendant les trois prochains jours. Ainsi, nous gagnons une heure de sommeil supplémentaire : à minuit le 22 juillet, il est de nouveau 23 h… le 21 juillet !
Nous nous réveillons sous une mer d’huile et une température de 10 °C. Bien que la visibilité soit réduite par une brume de mer, nous avons le privilège de faire quelques rencontres animales fort sympathiques tout au long de la journée : tantôt des dauphins à bec blanc, tantôt des orques, ou encore des petits rorquals — également appelés rorquals de Minke ou baleines de Minke. En soirée, c’est un rorqual commun qui pêche à proximité de l’Ocean Nova. Nous l’observons pendant une trentaine de minutes avant de le perdre de vue.
Outre ces mammifères marins, divers oiseaux nous accompagnent depuis le matin : fulmars boréaux, guillemots de Brünnich, mouettes tridactyles, ou encore macareux moines.
Bien qu’aucune sortie ne soit envisageable aujourd’hui, notre équipe de guides nous convie à plusieurs rendez-vous tout au long de la journée. Christian ouvre le bal avec une conférence passionnante sur la grande histoire des régions polaires. Nous enchaînons ensuite avec Xavier et sa présentation sur les courants marins. Nicolas et Frédéric nous résument respectivement la vie du renne du Svalbard et celle du renard polaire, deux espèces que nous avons notamment rencontrées hier à Kapp Lee.
Pour conclure, c’est Laurent, notre médecin de bord, qui nous propose une conférence sur l’impact du froid sur l’organisme humain, un sujet plus que jamais d’actualité pour nous autres explorateurs du Grand Nord. La journée s’achève par une navigation des plus agréables, toujours en direction du Groenland.
Durant toute la nuit, nous avons navigué sur une mer calme : pas de vent, une houle douce, et le bateau qui nous porte vers notre destination. Nous avons encore reculé notre montre d’une heure, si bien que, bien avant le petit-déjeuner, les coursives voient passer des passagers qui ne se sont pas encore acclimatés à ce nouveau rythme et profitent de l’heure matinale.
Dans la matinée, un programme de conférences est proposé.
Tout d’abord, Nicolas nous parle de « Du Spitzberg au Groenland : une traversée dans le sillage de deux trappeurs ». Il évoque le destin de ces deux hommes, notamment celui de Rudi « le Rouge ». À l’époque où les fourrures d’animaux sauvages étaient très prisées en Europe, ces trappeurs ont tué des centaines d’animaux, parfois jusqu’à leur quasi-disparition. L’époque n’était pas à la préservation des espèces, mais aux profits. Nous pouvons porter un regard critique sur cette période, mais il faut aussi rester lucide : que diront les générations futures de nous ? Nous savons que le dérèglement climatique nous entraîne vers une catastrophe écologique… et qu’avons-nous fait pour l’éviter ? Il convient toujours de replacer les faits dans leur contexte avant d’émettre des jugements sévères sur des époques révolues.
Puis Christian nous parle du tourisme polaire, de Grands Espaces et de l’Ocean Nova. Il retrace l’histoire du tourisme dans ces régions, depuis les anciens navires scientifiques russes reconvertis jusqu’à aujourd’hui. Il revient notamment sur l’histoire de l’Ocean Nova : autrefois navire de ravitaillement des côtes groenlandaises, alors baptisé Sarppik Ittuk, il est rallongé et transformé en bateau de croisière en 2000. Grands Espaces l’a affrété pendant 15 ans. Depuis, d’autres navires ont rejoint la flotte, comme le Grand Explorer et le Nanook, et de nouveaux projets se profilent pour les années à venir.
Christian évoque également les contraintes du tourisme polaire : entre exigences environnementales légitimes et réglementations parfois lourdes ou contre-productives, la navigation dans ces régions reste un défi permanent.
Après cette matinée riche en récits et réflexions, l’heure du déjeuner arrive, accompagnée de quelques observations ornithologiques : des macareux, loin de toute côte, et les fulmars, maîtres des airs dans ces zones pélagiques.

En début d’après-midi, Alain nous parle des cétacés — certains ayant été aperçus durant notre traversée : dauphins, rorquals, baleines bleues, baleines franches, à bosse ou mégaptères. Il détaille leur biologie, leur mode de vie, leur évolution depuis leurs ancêtres terrestres, ainsi que les menaces qui ont pesé (et pèsent encore) sur eux. La baleine bleue est à ce jour le plus grand animal ayant jamais existé sur Terre. Alain partage aussi avec enthousiasme ses souvenirs de recherche à Saint-Pierre-et-Miquelon, au grand plaisir de l’auditoire.
En fin d’après-midi, Christian et Xavier présentent le programme à venir : notre progression vers les côtes du Groenland, la carte des glaces, et les défis que représentent ces rivages froids et peu accessibles.
Puis, Frédéric et Jean-Marie animent un quiz sur les oiseaux. Dans une ambiance joyeuse, Frédéric, malicieusement, donne le nom d’un oiseau avant même la fin de la question — ce qui lui vaut une victoire très disputée mais chaleureusement applaudie !
Enfin, nous attendons tous un moment important : l’apparition des premières plaques de banquise le long de la côte est du Groenland. Malheureusement, celles-ci ne seront visibles qu’aux alentours de deux heures du matin. Xavier prévoit d’ailleurs une annonce générale à ce moment-là pour prévenir de la présence de cette banquise disloquée.
Cette troisième nuit en mer depuis notre départ du Spitzberg s’est déroulée paisiblement à bord de l’Ocean Nova. Vers 2 h du matin, l’excitation gagne les ponts : Xavier, notre chef d’expédition, annonce que nous venons de traverser les premières plaques de banquise dérivante. Un moment symbolique, vécu comme la promesse d’une arrivée imminente sur la côte est du Groenland.
Au matin, la progression du navire est ralentie par d’importantes langues de glace, transportées par le courant de l’Est du Groenland. Le capitaine adapte sa route, contournant ces barrages mouvants. Le trajet s’allonge, mais le spectacle est fascinant : entre les bancs de brume, des plaques de glace s’étendent à perte de vue. Sur l’une d’elles, nous apercevons plusieurs phoques, dont un jeune phoque à capuchon, identifiable à son pelage si particulier. Un peu plus loin, une carcasse fraîche encore teintée de sang trahit le passage récent d’un ours — invisible à notre arrivée, mais sûrement encore dans les parages.

En fin de matinée, Xavier nous propose une présentation générale du Groenland. Cette introduction permet de mieux comprendre les enjeux géographiques, climatiques et humains de cette vaste terre arctique, si méconnue et pourtant si essentielle.
Pendant le déjeuner, la brume se déchire lentement, révélant par fragments les reliefs basaltiques de l’île Bontekoe, les montagnes de la côte, et la baie de Foster, encore emprisonnée dans la banquise. Le moment est saisissant, presque irréel : après deux journées de mer, le Groenland se dresse devant nous, massif, minéral, majestueux.
À peine le repas terminé, nous embarquons pour une sortie en zodiac le long de l’île Bontekoe. Nous longeons d’abord la côte nord, jusqu’à être stoppés par la banquise côtière, infranchissable, qui bloque l’accès au fond de la baie. Un phoque solitaire nage à proximité, paisible et indifférent à notre présence discrète. En rebroussant chemin vers le sud de l’île, un ours solitaire apparaît sur un névé : il marche lentement, puis s’y couche. Peu après, deux autres silhouettes — probablement une femelle et son jeune — surgissent brièvement sur une crête. Ce sont des instants suspendus, au cœur d’une nature brute, sauvage, intacte.

Lors d’un court débarquement, nous découvrons une végétation rase mais tenace : tapis de saules arctiques, mousses, lichens colorés. Le chant d’un lagopède alpin nous permet de le repérer, parfaitement dissimulé dans la rocaille grâce à son plumage mimétique.
Sur le trajet du retour, nos zodiacs croisent plusieurs grands icebergs tabulaires — vestiges de vêlages anciens venus de plus loin encore. Ces blocs immenses, aux contours sculptés par l’eau et le vent, ponctuent cette journée déjà riche en émotions, tandis que la brume reprend doucement possession des lieux.

De retour à bord, Christian Kempf revient sur les observations naturalistes de la journée, nous préparant à la suite de cette exploration groenlandaise qui s’annonce prometteuse. Pour célébrer cette première incursion sur les terres groenlandaises, l’équipage organise un barbecue sur le pont extérieur, avec vue imprenable sur la banquise.
C’est alors, au moment du dessert, que le commandant signale la présence d’un ours polaire sur un glaçon. Silencieux et attentifs, nous l’observons longuement dans la lumière douce de la fin du jour, avant que l’Ocean Nova ne reprenne sa route vers le sud — direction la suite de notre aventure groenlandaise.
Suivez nos voyages en cours, grâce aux carnets de voyages rédigés par nos guides.
Messages
Je suis très heureuse de voir que Mathilde Gardin est directrice sur cette croisière. Je l’avais rencontrée en 2023 au Nunavut, une croisière vraiment inoubliable !
Hello Barbara on pense bien à toi et voyons sur le carnet de voyage ces paysages qu’on a bcp aimés.
Et les ours ? Et des glaciers qui vêlent ? Profitez un max.
Un beau moment de partage !