Élodie Marcheteau
Géologie
28 août
12 septembre 2025
Élodie Marcheteau
Géologie
Rémi Suchowierch
Guide naturaliste
Certaines photos photos d’illustrations ont été prises lors de précédentes croisières au Groenland. Le manque de connexion internet nous empêche de recevoir les photos en temps réel.

Premier réveil en Arctique : bercés par la houle toute la nuit, nous émergeons lentement dans le fjord Carlsberg, au nord des Alpes de Liverpool. Le soleil éclatant illumine un décor grandiose, figé entre mer et montagnes. Nos guides nous proposent une sortie à terre : c’est notre premier contact avec la toundra groenlandaise. Nous débarquons sur une large plage bordant un delta aux lagunes multiples. Élodie, notre guide, nous explique la géologie de ces paysages rouges, formés il y a plusieurs millions d’années à partir de grès et d’argile datant du Trias. Soudain, Rémi repère un renard polaire, que nous observons longuement, arpentant le rivage à la recherche d’œufs d’oies ou de bernaches nonnettes que l’on aperçoit en vol.

Sous nos pieds, la toundra est douce, presque duveteuse, et marquée de nombreuses empreintes de bœufs musqués. Mais ce sont d’autres traces, plus impressionnantes, qui attirent l’attention : un ours polaire est récemment passé par ici. Les empreintes puissantes dans la mousse racontent à elles seules la force majestueuse de ce prédateur. Partout, des saules polaires tapissent le sol de teintes jaunes éclatantes, signe que l’été s’efface doucement pour céder la place à l’automne. Sur le chemin du retour, un couple de bécasseaux s’amuse à suivre les vagues, concluant cette première exploration arctique sur une note poétique.

L’après-midi, nos guides nous emmènent pour une croisière en zodiac à travers les eaux cristallines du Carlsbergfjord. Nous débutons l’excursion par un glacier modeste mais d’une beauté à couper le souffle, avec des teintes d’azur incroyablement profondes. Ce premier contact avec le monde des glaces s’avère être une introduction parfaite aux phénomènes géomorphologiques de la région. Nos guides, experts en glaciologie, nous expliquent les subtilités des moraines latérales, des séracs et d’autres formations comme les sarrasins ou bourguignons, qui n’ont désormais plus de secrets pour nous. Cadeau de ce glacier, un joli vêlage a lieu juste en face de nous, nous nous rendons alors compte de toute la puissance développée par ce glacier malgré sa taille. En poursuivant notre chemin le long des rivages du fjord, nous apercevons divers oiseaux marins : eiders à duvet, hareldes boréales et goélands bourgmestre, qui ajoutent une touche de vie à ce paysage déjà spectaculaire.

Les roches moutonnées, ces témoins de l’érosion glaciaire, confèrent à la rive est du fjord un aspect lunaire, en parfait contraste avec l’environnement verdoyant du matin. En revenant, un moment unique nous attend : un phoque annelé, petit mais majestueux, s’approche des zodiacs et nous observe tranquillement à quelques mètres. Après cette belle immersion dans la nature arctique, nous retournons à bord, rafraîchis et émerveillés. La soirée débute avec le traditionnel Cocktail de Bienvenue en compagnie de notre commandant, Captain Georges. Le dîner se poursuit, et pour clore cette journée inoubliable, Rémi nous offre une présentation fascinante sur les oiseaux de l’Arctique, nous plongeant encore plus dans la richesse de cet écosystème unique.
La brume de mer a accompagné le Grand Explorer toute la nuit durant sa montée vers le Nord depuis le fjord de Carlsberg. A notre arrivée dans l’embouchure du Vega Sund, long détroit séparant l’île de Traill du celle de Geographical Society, nous retrouvons de la visibilité, bien que la couverture nuageuse soit encore bien présente. L’absence de vent entretient ce ciel bas, mais garantit des conditions idéales pour nos opérations de la journée. Sur son embouchure Est, le Vega Sund est bordé d’une multitude d’îlots majoritairement composés de laves, reconnaissables par leur couleur marron aux teintes rouille révélant leurs richesse en minéraux ferreux, ainsi que par leur structure en colonnes plus ou moins régulières. Ces intrusions volcaniques sont la signature d’un événement majeur pour la configuration géographique actuelle du Groenland : l’ouverture de l’Atlantique Nord initiée il y a 55 millions d’années, la séparant définitivement de la Norvège et du Svalbard.
C’est dans ce décor très minéral que nous débutons notre première sortie de la journée à bord des zodiacs. Bien que ces roches soient peu propices à l’établissement de la végétation, elles forment en revanche de belles plate-formes utilisées par les goélands bourgmestres pour établir leurs nids. Certains adultes nous fixent depuis leur piédestal, alors qu’en vol des juvéniles s’exercent à renforcer leurs ailes en vue de la prochaine migration automnale.

A proximité, un iceberg strié de bleu nous offre un beau tableau glacé, ses parois érodées par les eaux de fonte contrastant avec l’arrondi de celles façonnées par un long séjour sous l’eau. Un craquement brutal nous rappelle que malgré l’allure immobile et inerte des icebergs, ils sont bien vivants, subissant en permanence l’effet des courants et de l’air extérieur affectant leur intégrité. Nous quittons cette beauté de glace pour continuer notre exploration des îlots. Soudain, notre guide Rémi perçoit un mouvement sur une île : même pas besoin de jumelles pour en avoir le cœur net, sa fourrure jaunâtre et son pas lent mais agile sur les blocs rocheux nous indiquent qu’il s’agit d’un ours polaire! Le premier de notre séjour, et certainement pas le dernier ! Nous rapprochant doucement, nous l’observons autant qu’il nous observe, levant sa truffe noire pour humer davantage ce qu’il perçoit de son environnement. Cette première rencontre est furtive, l’ours descendant rapidement dans un couloir de roches qui le camoufle à notre vue. Chaque ours est unique, tant dans sa morphologie que dans son comportement : celui-ci nous indique son désir de tranquillité. Nous le laissons donc pour poursuivre notre prospection, déjà réjouis de ce cadeau offert par la Nature.

En contournant l’île de Nordenskiold, nous en apprenons davantage sur ces noms aux sonorités scandinaves : la zone est en effet marquée par la présence de deux explorateurs suédois, Alfred Gabriel Nathorst et Adolf Erik Nordenskiold, venus ici en 1882 et 1883 à bord du navire « La Vega » pour cartographier cette partie de la côte Est du Groenland. C’est également à bord de ce navire qu’en 1879 Nordenskiold fut le premier à effectuer le passage du Nord-Est. L’exploit de ce navire, un phoquier 3 mâts équipé d’une machine à vapeur, mérite bien le nom d’un détroit, alors que c’est une île qui porte le nom de celui qui devint un héros national en Suède.
Alors que nous la dépassons pour nous avancer un peu plus au Nord, de nouvelles formes se distinguent sur la falaise qui nous domine : c’est cette fois une femelle ourse avec ses deux petits de l’année précédente qui se tiennent sur un promontoire rocheux. Encore une fois, leur agilité à se déplacer sur ce type de terrain impressionne et fascine. La famille est intriguée, leurs trois visages blancs nous fixant avec intérêt. Alors que la mère se déplace, les deux petits suivent de près, reproduisant les pas, les attitudes. Restant en hauteur, le trio reste attentif, puis l’humeur des petits évolue davantage vers le jeu alors que l’un d’eux s’active avec sa patte sur le sol jusqu’à décrocher un caillou qui dévale la pente. L’autre s’allonge bientôt, gardant sa vision sur nos zodiacs.

Soudainement, nos regards sont attirés au-dessus de la famille : un faucon gerfaut vole de toute sa splendeur immaculée, tournant plusieurs fois avant de se poser sur une colonne de lave plus loin. Quel moment rare et magique nous vivons là : le faucon gerfaut est le plus grand faucon au monde, avec une envergure pouvant atteindre 1,30 mètres pour un poids de 1,5 kg. S’alimentant de rongeurs, d’oiseaux marins et de lagopèdes alpins, il est parfaitement adapté à cet environnement, nichant sur des falaises rocheuses. Alors que nous nous apprêtons à laisser derrière nous ce spectacle mémorable, notre guide Élodie nous signale qu’un ours nage à quelques dizaines de mètres de notre zodiac, sa tête dépassant de l’eau, alors que son dos est lui aussi perceptible par moments. Devant sa facilité évidente à se déplacer dans cet élément, nous comprenons son nom latin « Ursus maritimus ». Toutefois, étant plus vulnérable dans l’eau qu’à terre, nous nous éloignons, le cœur de ce grand prédateur étant petit et sensible au stress de son environnement. Comme pour compléter ce tableau de rêve, le soleil fait son apparition alors que nous retrouvons la chaleur du Grand Explorer.
Après un temps de partage autour du déjeuner puis de repos après toutes ces émotions, le Grand Explorer se déplace vers l’Ouest, à proximité d’autres îlots, où nous effectuons notre deuxième sortie de la journée, sous le soleil qui ne nous quittera plus désormais. Dès que nous passons la première côte, le défilé d’ours continue, et ne va pas s’arrêter au gré de notre exploration: d’abord un ours occupé sur une carcasse de boeuf musqué dans une pente dominant le delta, puis ce ne seront pas moins que sept autres ours qui animeront notre sortie, installés sur des îlots rocheux, en train de nager ou encore de se reposer sur la toundra. Quelle chance que ces observations de scènes de vie, dans ce dédale de petites îles chatoyantes dans la lumière de fin de journée. La sortie est également l’occasion d’observer nos premiers boeufs musqués en bordure de côte, leurs longs poils caractéristiques complétés par leurs cornes massives.

Une dernière surprise magnifique nous comble de joie lorsqu’une mouette de Sabine vient tourner autour des zodiacs, alternant entre des moments de vol révélant son plumage élégant de blanc aux extrémités noires, et de rapides pauses sur l’eau. Avec sa tête noire à l’oeil rouge terminée par un bec jaune, la mouette de Sabine est aussi belle qu’elle est rare: seulement 100 à 200 couples au Groenland.Nous rentrons à bord, comblés et comme abasourdis par tout ce que la Nature nous a offert aujourd’hui: treize ours, un faucon gerfaut, des boeufs musqués et une mouette de Sabine en seulement quelques heures, quelle journée épique !
Les douces lumières du soir sont comme la touche finale de ce tableau fabuleux qu’il nous a été donné de contempler toute la journée. L’heure est au repos, car demain l’aventure continue.
C’est dans une fine nappe de brume que nous nous réveillons ce matin. Alors que le Grand Explorer progresse entre les îles de Hold with Hope et de Clavering jusqu’au golf de Godthab, le soleil perce timidement, nous plongeant dans une ambiance mystérieuse. Pendant que nous arrivons à notre point d’ancrage vers l’embouchure du Loch Fyne, de belles trouées révèlent les roches aux teintes rougeâtres riches en oxydes de fer, témoins de conditions climatiques bien plus chaudes lors de leur dépôt, il y a près d’un milliard d’années. Les sommets pointus culminant pour certains à plus de 1400 mètres nous offrent un spectacle féerique avec leur écharpe de brume. C’est dans cette atmosphère majestueuse que les zodiacs sont descendus à l’eau pour notre première activité de la journée. La mer est un lac, les reflets des montagnes dans l’eau seulement troublés par les vagues créées par nos embarcations. Sur une berge, nos guides repèrent un ancien piège à renard, bien reconnaissable par les planches clouées entre elles et renforcées par des tasseaux.
A proximité, un tas de pierres nous renseigne sur la technique utilisée par les trappeurs des années 1920, souvent des Norvégiens, qui consistait à maintenir la planche supportant ces lourdes pierres en équilibre avec plusieurs morceaux de bois, suffisamment petits pour qu’ils soient déplacés par le passage d’un renard allant chercher l’appât placé en dessous, le piégeant sous la masse de roches. Cette technique avait pour but de capturer l’animal sans abîmer sa précieuse fourrure. Nous progressons dans la baie de Wordie alors que le soleil se montre plus généreux, et qu’il ne nous quittera plus désormais. Les grands cônes d’alluvions s’avancent sur la mer depuis les pentes abruptes, redistribuant les sédiments et autres blocs d’anciennes moraines glaciaires. C’est à proximité de l’un d’eux qu’une tête grise sort soudain de l’eau. Dans sa surprise à nous voir près d’elle, elle plonge rapidement. Toutefois, après quelques minutes, ce petit phoque annelé revient en surface, se montrant curieux, s’approchant à quelques mètres de nous. A cette distance, il est aisé de contempler son visage de chat avec ses longues vibrisses et ses sourcils blancs dressés. Ses grands yeux noirs nous fixent, avant de replonger et de ressortir plusieurs mètres plus loin.

Ce manège semble l’amuser autant qu’il nous ravit, et bientôt un deuxième phoque s’invite à la fête. Nous remettons doucement les moteurs pour poursuivre notre exploration, alors que les deux curieux nous suivent pendant un bon moment. Nous avons toutefois une bonne distance à parcourir avant de nous rapprocher du glacier de Wordie. D’une largueur d’environ 4 kilomètres, il est aujourd’hui clairement en recul, ses moraines frontales barrant tout son front glaciaire. Il s’étend toutefois très en amont à l’intérieur des terres, sa langue glaciaire alimentée par la calotte à plusieurs dizaines de kilomètres de là. Sur l’autre rive, des points noirs attirent notre attention par leur mouvement rapide: un groupe de trois boeufs musqués descend à vive allure sur les pentes d’éboulis, se cachant derrière un surplomb morainique. Leur agilité nous rappelle le fait qu’ils appartiennent à la famille des caprinés, leurs pattes expertes à courir sur des terrains accidentés.
Notre guide Élodie nous signale toutefois la présence près de la berge, dans une toundra rougeoyante, de trois autres boeufs musqués, une femelle avec deux jeunes d’âge différent comme le montre le développement de leurs cornes. Ils nous regardent paisiblement, nous permettant de contempler leur face brune recouverte de qiviut, ce sous-poil aussi chaud que doux. Bientôt ils se lèvent, et s’acheminent lentement vers une zone de toundra qui fera l’objet de leur repas. Le plus petit reste près de sa mère, profitant de la rassurante présence. Ce beau tableau familial est touchant, nous prenons le temps de savourer ce moment privilégié d’observation. En retournant vers le navire, notre guide Rémi repère dans un éboulis une tâche blanche brillante, typique du lièvre arctique. A la différence de ses cousins du Canada, le lièvre arctique au Groenland garde son pelage blanc toute l’année, seul l’intérieur de ses oreilles est paré d’une couche de poils noirs. Restant immobile, nous ne le verrons pas déployer son long corps, le lièvre arctique étant le plus gros lièvre de son espèce. Nous le laissons pour rejoindre le navire se détachant sur le fond brumeux qui couvre encore une partie de la baie.

Durant le déjeuner, le Grand Explorer se déplace jusqu’aux abords de l’île Clavering, où nous effectuons notre seconde sortie de la journée, sur le site d’Eskimonaes. Le soleil est toujours bien présent mais le vent froid nous montre bien que nous sommes monté en latitude, et que la fin de l’été est amorcée. Riche d’histoire, ce site fut le siège de recherches scientifiques durant les années 1930 à l’initiative du géologue danois Lauge Koch, puis réutilisé en 1941 pour implanter la première base de la patrouille Sirius et maintenir une présence sur cette côte Est groenlandaise dans le contexte stratégique de la guerre météorologique. La base fut d’ailleurs attaquée et incendiée par un bataillon allemand en mars 1943, abandonnée par les Sirius puis bombardée par les forces aériennes américaines quelques mois plus tard, dissuadant définitivement les forces allemandes de s’implanter. Le site témoigne aujourd’hui de ce passé par les nombreux vestiges conservés en bordure de plage.
Après ce retour dans l’histoire, nous profitons de la vue dégagée pour explorer les environs, marchant dans les traces des boeufs musqués, sur une toundra riche aux couleurs d’automne. Arrivés à un point de vue, Élodie repère une forme grise à quelques centaines de mètres : un renard polaire est assis dans une zone herbeuse, et commence à se déplacer dans notre direction. Nous faisons silence et devenons aussi immobiles que des statues, retenant notre souffle à chacun de ses pas: il se rapproche jusqu’à venir à quelques mètres de nous, sa curiosité nous faisant vivre une rencontre inattendue et surtout inoubliable. Par deux fois il effectue un cercle autour de notre groupe, avant de s’éloigner vers une destination inconnue. Quel moment magique, nous en avons encore des frissons ! Cette observation magnifique achève cette journée bien remplie, riche en paysages majestueux et en rencontres mémorables.
De retour à bord du Grand Explorer, la détente est de mise, alors que le navire reprend déjà la route vers notre prochaine découverte : le fjord de l’empereur François Joseph.
Mercredi 3 septembre
Aux premières heures du matin, le Grand Explorer poursuit sa descente vers le Sud, dans une des branches du fjord de l’empereur François Joseph dont nous avons débuté l’exploration hier. Malgré le ciel nuageux, le paysage autour de nous est époustouflant : des roches aux couleurs rouille alternant avec des strates beiges forment un tableau des plus somptueux : une exposition permanente au grand musée de la Nature dont nous sommes les visiteurs privilégiés. Dans ce décor coloré, une masse se dresse, majestueuse, avec ses sommets crénelés : nous nous trouvons face au Teufelschloss, littéralement « le château du Diable », nommé par les membres de la seconde expédition allemande menée par l’explorateur Carl Koldewey en 1869, qui, le voyant émerger de la brume avec ses tours tels des donjons le virent comme une forteresse mystérieuse. Dans les lumières du matin, la falaise impressionne par ses 1340 mètres de hauteur juste au-dessus de la mer, et nous séduit par sa beauté unique.
C’est face à ce promontoire aux strates colorées que nous débutons notre journée, par une marche dans Blomsterbugten. Ici, la toundra est d’une richesse incroyable: malgré la période de fin d’études, il est facile de distinguer la diversité des espèces sur lesquelles nous évoluons, développées au fil des décennies sur cette moraine glaciaire. Les bouleaux nains se détachent par leurs feuilles crénelées aux couleurs orangées, alors que le raisin d’ours forme des tapis rouge vif, parfois associé aux teintes rosées des myrtilles des marais. Les fleurs sont aujourd’hui fanées après la courte saison estivale où elles se sont empressées d’emmagasiner le maximum de nutriments, de soleil et d’humidité en prévision de la saison hivernale. En voyant tous les « plumeaux » des Dryades à huit pétales qui ressortent des coussins virant au brun, il est facile d’imaginer ce que les membres de l’expédition de Lauge Koch ont vu en 1929 durant la période de floraison maximale en parcourant la vallée, lui donnant son nom approprié de « vallée des fleurs ».
Nous prenons progressivement de la hauteur sur la baie, le soleil sortant progressivement de derrière les nuages, accentuant l’intensité des couleurs rouges des roches. L’ambiance est bucolique, paisible et propice à la contemplation du grand lac que nos découvrons bientôt depuis un surplomb rocheux. Soudainement, une forme blanche brillante attire nos regards : un lièvre arctique se détache sur la toundra brune, sa fourrure immaculée le rendant très visible à cette saison. Se laissant observer, il détale rapidement vers une mare en contrebas, caché quelques minutes à nos yeux, avant de réapparaître plus loin à flanc de colline. Avec ses puissantes pattes, longues jambes comparées à la taille de son corps, il est capable de se propulser à près de 60 km/h pour échapper à ses prédateurs qui sont nombreux ici au Groenland. Renard, loup, chouette harfang ou encore faucon gerfaut sont de friands amateurs de ce grand herbivore. Aucune traces d’eux aujourd’hui, ce petit lièvre repart tranquillement à ses affaires, disparaissant bientôt derrière une butte.
Nous poursuivons notre marche jusqu’aux berges du lac dont l’eau couleur chocolat au lait révèle l’abondance de sédiments transportés par les rivières formées par la fonte du glacier principal de l’île Gunnar Anderson. Les reflets des montagnes alentours dans cette eau turbide forment un camaïeu de rouges fabuleux. Nous profitons du calme pour nous avancer sur des roches moutonnées dominant le lac, où un petit groupe de sizerins blanchâtres volète joyeusement autour de nous. Ce petit passereau s’accorde merveilleusement aux couleurs du décor ambiant, son front étant coloré d’un rouge vif. Sur la rive opposée au lac, un grand troupeau de boeufs musqués est présent : nous comprenons mieux l’abondance d’excréments, d’os et de qiviut trouvés sur notre chemin. Le retour se fait sous un beau soleil, nous réchauffant alors qu’une petite brise s’est invitée à la balade.
De retour à bord du Grand Explorer, le repas est prêt et c’est devant des roches aux plis impressionnants que nous déjeunons, poursuivant notre route dans le fjord de l’empereur François Joseph, en direction de l’Isfjord. Nous croisons la route d’icebergs géants aux formes diverses, certains presque aussi hauts que notre navire. C’est dans ce décor de glaces irradiées de soleil que nous avançons vers le lieu de notre seconde activité de la journée, le glacier De Geer. Le navire se fraye un passage entre les icebergs dont la proportion augmente à mesure de notre approche, jusqu’à barrer complètement la route. C’est le moment de descendre les zodiacs et d’évoluer autour de ces géants silencieux. La magie de ces instants hors du temps est chaque fois au rendez-vous, l’émerveillement devant ces châteaux de glace à la structure éphémère s’accentuant à chaque regard. Le soleil rasant de fin de journée illumine les montagnes encadrant le glacier, dont le reflet orangé colore la mer en un miroir parfait. L’ambiance est fantastique, irréelle, sublimée par des blocs de glace dont la transparence est digne d’un cristal. La lumière révèle une fine couche recouvrant la surface de l’eau en plaques plus ou moins étendues : nous avons sous les yeux de la banquise de quelques millimètres d’épaisseur, nous indiquant encore une fois que nous sommes bien à la fin de l’été.
Les conditions dans le fond de ce fjord sont propices pour la formation des premiers stades de banquise, avec une eau calme, et des températures qui commencent à baisser avec la diminution rapide du jour. Dans l’ombre du soir, le front de glace n’en reste pas moins grandiose, avec ses pics et ses tours pouvant atteindre soixante mètres de hauteur. L’abondance du brash nous montre la forte activité de ce glacier De Geer relié directement à la calotte, tout comme son voisin le Jaette. Le retour se fait avec l’observation furtive de quelques phoques annelés, et le retournement d’un iceberg aux couleurs turquoises. Des étoiles glacées pleins les yeux, nous retrouvons le navire qui reprend rapidement la mer en direction de notre destination du lendemain, le fjord de Kjerulf. Après un moment d’échange convivial sur notre magnifique journée, chacun prend congé, impatient de savoir ce que demain nous réserve.
Ce matin, nous nous éveillons au cœur du fjord de Kjerulfs, enveloppés par une lumière douce et un silence presque irréel. Le glacier de Nordenskjold se dresse devant nous, majestueux, baigné par les premiers rayons du jour. La mer est d’un calme absolu, semblable à un miroir. Après un petit déjeuner face à ce décor grandiose, nos guides nous annoncent un débarquement dans la vallée du Paradis. Mais avant cela, une surprise de taille nous attend : un ours polaire a été repéré à quelques kilomètres. Nous approchons lentement en zodiac, respectueux de la distance, et découvrons l’animal allongé dans une toundra aux teintes rougeoyantes.

Il semble paisible, presque indifférent à notre présence discrète. Ce face-à-face avec le seigneur de l’Arctique, dans son habitat naturel, est un moment suspendu, empreint de respect et d’émotion. Puis nous mettons cap vers notre point de débarquement. La marche nous mène à travers une toundra étonnamment luxuriante, où saules polaires et bouleaux nains atteignent une taille remarquable. Sur la berge, une ancienne cabane de trappeur garde les traces d’un autre temps.
Mais le véritable trésor du lieu se situe plus loin : les vestiges d’un site proto-inuit se dévoilent à nous — caches à viande, cercles de pierres, ruines de maisons semi-enterrées — témoignant de la culture de Thulé, vieille de plus de mille ans. Nous foulons ces terres avec humilité, touchés par la mémoire des peuples qui y ont vécu. De retour à bord, Élodie nous transporte à travers l’histoire des civilisations arctiques, prolongeant cette plongée dans le passé. Une journée d’une richesse rare, entre nature sauvage et traces humaines ancestrales.
L’après-midi, les zodiacs sont mises à l’eau sous un léger voile nuageux, baignant le paysage d’une lumière douce et diffuse, idéale pour partir à la rencontre des géants de glace que nous devinons à l’horizon. Sur le rivage, un groupe de lièvres arctiques bondit dans la toundra, leurs silhouettes blanches tranchant avec les couleurs chaudes et flamboyantes du sol nordique. Nous pénétrons alors dans le fjord de Kjerulfs, au cœur de son cimetière d’icebergs : un défilé de colosses azurés aux formes infinies, certains s’élevant à plus de quarante mètres.

La scène semble irréelle, comme surgie d’un rêve polaire. Soudain, Rémi aperçoit un bœuf musqué sur le rivage. Approchés à moins de dix mètres, nous observons ce survivant de la préhistoire, compagnon d’ère glaciaire des mammouths et tigres à dents de sabre, se nourrir paisiblement d’algues échouées. Sa toison épaisse, hirsute et imposante témoigne de son adaptation aux conditions extrêmes. Selon nos guides, c’est l’une des plus belles observations de bœuf musqué qu’il leur ait été donné de voir.

Nous poursuivons notre navigation dans ce théâtre gelé, sur une mer calme comme un miroir, où se reflètent les formes sculpturales des icebergs et les reliefs alentours. C’est alors qu’une nouvelle alerte retentit : une ourse polaire accompagnée de son petit progresse lentement sur la toundra rougeoyante. Bien que distants, nous assistons à une scène de vie saisissante, où les deux ours semblent se nourrir d’une carcasse dissimulée dans le relief. Après plusieurs minutes d’observation silencieuse, nous reprenons notre route au milieu des plus imposants icebergs du fjord. Le silence, les reflets et l’immensité composent un tableau hypnotique, dont on ne se lasse pas. Après plus de trois heures d’exploration, nous regagnons le Grand Explorer, porteurs d’images et d’émotions que seule l’Arctique peut offrir. Une journée inoubliable, parmi les plus intenses et les plus belles de notre séjour.
C’est à proximité de l’île Maria que nous nous réveillons ce matin, sous un soleil généreux qui fait scintiller la mer, et révèle l’intensité des roches rouges de la série géologique de la baie d’Éléonore. La mer est toujours aussi calme, le vent est absent, les conditions sont idéales pour débuter notre première activité de la journée sur cette petite île, point de rencontre entre la partie intérieure du fjord du Roi Oscar et les fjords et détroits se ramifiant autour. L’île et sa voisine Ruth Ø furent nommées par le géologue, paléobotaniste et explorateur suédois Alfred Nathorst lors de son expédition de 1899 cartogrophiant une grande partie de la côte Est du Groenland, en hommage à ses filles Maria et Ruth. L’île au Sud, Ella Ø, porte quand à elle le tendre surnom de son épouse. De part sa grande superficie de 140 km2 et sa topographie relativement plane, l’île d’Ella fut utilisée en 1931 par Lauge Koch comme base pour ses explorations aériennes, installant une piste qui servit en 1933 à Charles Lindbergh pour son premier survol des environs. La période de la seconde guerre mondiale vit l’installation de postes de radio-communication et de météorologie par les forces américaines. Quelques années plus tard, le 18 août 1950, dans le cadre du renforcement de sa souveraineté au début de la guerre froide, le Danemark en fit une base saisonnière pour la patrouille Sirius. Chaque été, les militaires sur place préparent des dépôts de nourriture, de carburant et de matériel pour les longues patrouilles hivernales en traîneau à chiens. Difficile d’imaginer les conditions auxquelles ils doivent faire face durant l’hiver alors qu’aujourd’hui nous sommes dans des températures si douces et agréables.
Dans la vallée au centre de l’île Maria, le soleil nous accompagne, faisant ressortir les couleurs orangées des bouleaux nains et le pourpre de quelques saxifrages à feuilles opposées encore en fleurs. Sur ce terrain mou, gonflé par les eaux de fonte du pergélisol, nous progressons vite et arrivons près d’une petite étendue d’eau, les montagnes colorées se reflétant sur sa surface lisse. Quelques grands gravelots juvéniles s’affairent sur les bords, à la recherche de quelques insectes. Nous nous surprenons à les contempler évoluer sans se préoccuper de notre présence à proximité. Poursuivant notre marche, Élodie nous fait signe de nous rapprocher d’un massif rocheux. Conservées dans la roche qu’elles ont participé à créer, nous avons sous les yeux des stromatolites, organismes microbiens à l’origine de constructions calcaires dont les couches successives forment une sorte de récif bombé. Véritables fossiles vivants, les stromatolites témoignent de la présence où nous nous trouvons d’une mer chaude et peu profonde il y a plus de 700 millions d’années, lorsque ces roches se sont formées. Après ce saut dans la temps, nous continuons notre découverte de Maria Ø en arrivant en bordure d’une lac aux eaux turquoises décoré de petites pousses de prêles. Nous prenons le temps de profiter du calme et de cette ambiance colorée. Le silence est ici tellement présent que nous nous verrions bien y passer la journée. Nous avons toutefois encore du chemin avant de rentrer vers le navire, et passant près d’une ancienne base militaire riche en vestiges, nous reprenons tranquillement notre parcours vers la côte où nous attend le Grand Explorer.
De retour à bord, le cap est mis vers le Sud, où nous rejoignons rapidement les îlots proches de Kap Lagerberg, lieu de notre activité de l’après-midi. Le soleil commence déjà à décliner lorsque que les zodiacs sont mis à l’eau, mais la température est toujours aussi douce. Nous découvrons ces îlots rocheux aux abords desquels les sternes crient et volent avant de plonger en piqué dans l’eau bleue foncée. Proches des côtes, nous observons à plusieurs reprises des radeaux d’eiders femelles avec leurs petits déjà presque adultes, maintenant toujours une distance par rapport à nos embarcations. Les roches nous offrent ici un spectacle des plus coloré: les strates de rouge, d’ocre, de blanc, de vert se succèdent en un enchaînement infini de couches déposés il y a plus de 750 millions d’années dans des conditions complètement différentes de l’actuel. A l’époque, le supercontinent Rodinia était la seule terre émergée, où n’existait aucune forme de vie sinon minérale. Nos guides nous expliquent que ces roches multicolores, les fameuses roches de la Baie d’Éléonore, illustrent par leurs alternances de couleurs les fluctuations du climat de l’époque, entre chaleur et glaciations. L’île de Jågmåstaren illustre ces variations, ainsi que les évènements tectoniques d’il y a plus de 400 millions d’années à l’origine de l’inclinaison impressionnante des roches, parfois verticales. Le spectacle de la Nature est encore une fois majestueux, nous laissant à la fois rêveurs mais aussi pleins d’humilité devant ces forces qui nous dépassent.
Après cette excursion au coeur de la géologie du Fjord du Roi Oscar, nous revenons à bord pour passer la soirée devant les montagnes aux couleurs flamboyantes dans le soleil couchant.
Les yeux pleins de ces merveilles ambiances de la journée, nous prenons un repos bien mérité, impatients de découvrir toutes les merveilles qui nous attendent demain.
Ce matin, une atmosphère lourde et mystérieuse enveloppe le navire alors qu’il s’immobilise dans les eaux silencieuses de l’Alpefjord. Au cœur des Alpes de Stauning, les sommets majestueux, culminant à plus de 2000 mètres, disparaissent dans les nuages bas, renforçant l’aura mystique du lieu. Les zodiacs glissent à l’eau, amorçant une exploration matinale au plus près du glacier Gulli, une langue de glace imposante qui se déverse depuis les montagnes pour obstruer partiellement le fjord. À mesure que nous approchons du front glaciaire, nous pénétrons dans un brash épais : une mer de glace morcelée qui recouvre entièrement la surface de l’eau. Nos embarcations progressent lentement dans ce labyrinthe figé, entourées de blocs translucides aux nuances de bleu saisissantes. Devant nous, le glacier se révèle chaotique, hérissé de séracs vertigineux, comme figés en plein élan. En poursuivant l’excursion, nous atteignons une lagune formée par le retrait d’un second glacier plus en retrait, ses moraines latérales et centrales dessinant les contours d’un ancien royaume de glace. Enfin, au fond du fjord, un troisième glacier, massif et impénétrable, barre toute progression, imposant par sa présence brute. L’endroit semble hors du monde, un sanctuaire minéral où la glace et la roche racontent la force immuable de la nature. Ce moment suspendu dans l’inconnu nous marque profondément, gravant à jamais dans nos esprits l’émotion d’un voyage au bout du monde.
L’après-midi, nous mettons pied à terre sur le site de Skipperdal, réputé pour ses formations rocheuses aux couleurs saisissantes. Sur place, Élodie, notre géologue, nous plonge dans l’histoire fascinante de ces paysages. Elle nous explique que ces roches sont le fruit d’un long processus de sédimentation : d’anciennes couches d’argiles et de schistes se sont accumulées au fond de bassins marins il y a des centaines de millions d’années. Sous l’effet de la pression, de la température et de la présence d’éléments comme le fer ou le manganèse, ces sédiments se sont lentement transformés. Dans un climat ancien, riche en oxygène et en humidité, des réactions chimiques particulières ont précipité ces oxydes dans les roches, donnant naissance à un véritable tableau naturel. Le jaune provient des oxydes de fer, le violet et le noir du manganèse, tandis que le vert et le gris témoignent d’autres minéraux présents lors de la formation. Résultat : un arc-en-ciel géologique s’étale sous nos yeux, fascinant par sa diversité et sa beauté. Une pluie fine vient effleurer le paysage, apportant un charme mélancolique à la scène. Tandis que certains choisissent de regagner le Grand Explorer pour un moment cocooning entre sauna, jacuzzi et lecture, d’autres poursuivent l’aventure avec Rémi et Élodie. Ensemble, ils grimpent vers un col qui s’ouvre sur une toundra flamboyante, où les teintes automnales embrasent le sol. En point d’orgue, un lac glaciaire aux eaux turquoise se dévoile, paisible et éclatant. De retour à bord, une atmosphère festive nous attend : nous levons nos verres pour célébrer des noces d’or émouvantes, les éclats de rires et le tintement des verres réchauffant les cœurs dans la douce chaleur du navire.
La brume camoufle les hauts sommets autour du fjord coloré de Seggelsalskappet en ce petit matin aux lueurs tardives. L’automne est là, et les pics dépassant des nuages sont saupoudrés d’une épaisse couche de neige tombée la veille et dans la nuit. Alors que le jour se lève à peine, le Grand Explorer s’enfonce dans l’embouchure du fjord de Forsblad, lieu de notre activité du matin.
Ce fjord d’une trentaine de kilomètres légèrement sinueux fut nommé par Alfred Nathorst en 1899 lors de son expédition de cartographie de la région, en hommage à l’un des membres de l’équipe scientifique, le topographe Carl Forsblad. Alors que des tâches de bleu déchirent le ciel en plusieurs endroits, les zodiacs sont mis à l’eau pour explorer ce fjord dont l’embouchure est parsemé de petits îlots arrondis tels des dos de tortues. Carapaces rocheuses, les roches ici présentent des géométries, des structures, des formes et des couleurs très différentes de celles de la baie d’Éléonore dans lesquelles nous avons évolué les derniers jours. Nos guides nous expliquent que nous sommes ici dans une zone de roches métamorphiques formées par des forces titanesques de pression et de températures en lien avec la collision majeure entre trois masses continentales il y a près de 420 millions d’années. Les roches originelles ont subi de telles conditions physiques à plus de 20 kilomètres sous la surface que les minéraux ont été réorganisés, les structures internes réalignées ou parfois mélangées pour former de nouvelles roches telles que les gneiss, les schistes et les migmatites. Le temps a ensuite fait son œuvre pour éroder les terrains situés au-dessus par l’eau, le vent, la glace, et mettre à jour ces roches de grandes profondeurs. En progressant dans le fjord, nous voilà dominés par des à pics impressionnants, certains culminant à plus de 2000 mètres, se dégageant progressivement de leur auréole de nuages. De ces géants de pierre, des langues glaciaires s’étirent, recroquevillées dans des vallées étroites. Les moraines grisâtres sur les côtés témoignent du recul de ces glaciers. L’un d’eux est exceptionnel : sa partie frontale, telle la gueule béante d’un serpent glacé, est découpée par une arche immense laissant entrevoir le socle rocheux, luisant grâce l’eau de fonte qui s’écoule en petites cascades. L’image est impressionnante, tant par son originalité que par ce qu’elle montre de la fonte actuelle des glaciers du Groenland.
Nous poursuivons notre découverte du fjord alors que les sommets se dégagent complètement, révélant leurs pics enneigés et leurs pentes abruptes caressés par le soleil désormais haut dans le ciel. En bordure de delta, des zones de toundra rougeoyante attirent notre attention, car nous savons maintenant grâce à nos guides que ces zones sont propices pour la faune. La théorie est rapidement vérifiée: des boeufs musqués se distinguent en hauteur, certains broutant, d’autres se reposant allongés, alors que leurs têtes sont tournées vers nous. Nous observons leurs longs poils de jards descendant jusqu’à leurs sabots, protégeant leur corps du froid arctique. Plusieurs individus sont visibles le long des flancs rocheux de la montagne, gardant leurs distances par rapport à nos embarcations. Une autre espèce montre bientôt le bout de son nez, ou plutôt ses longues oreilles : un lièvre arctique se détache par sa fourrure blanche brillante sur une zone caillouteuse. Bien en hauteur lui aussi, il se laisse contempler, bien installé en forme de boule. Bientôt, avec l’avancée de l’automne et les précipitations neigeuses plus abondantes, cet herbivore bénéficiera de nouveau d’un camouflage parfait, le protégeant des prédateurs. C’est sous un grand soleil que nous regagnons le bord. Un dernier regard aux pics désormais ensoleillés de l’embouchure du fjord de Forsblad, et le Grand Explorer met le cap sur le fjord du Roi Oscar, le deuxième plus grand fjord du Parc National. En comparaison des autres fjords que nous avons pu arpenter ces derniers jours, celui-ci nous semble immense: en effet, par endroits, ce fjord atteint les 20 kilomètres de largeur. Nous ne pouvons qu’imaginer la taille du glacier qui a creusé cette vallée aujourd’hui occupée par la mer il y a des milliers d’années !
Alors que la navigation se poursuit, Élodie nous présente avec passion les caractéristiques du boeuf musqué que nous avons eu la chance d’observer à de nombreuses reprises durant le séjour, notamment ses adaptations à ce milieu extrême de l’Arctique et son écologie en général. Sitôt terminé, déjà nous ressortons à bord des zodiacs pour aller à la découverte des îles Haslum, petit archipel d’îlots volcaniques façonnés par les glaciers. Les structures en colonnes des îles sont le lieu privilégié de plusieurs espèces d’oiseaux marins comme les goélands bourgmestres, les sternes arctiques ou encore les eiders. Nous sommes donc surpris de voir sur un promontoire de lave brune un groupe de neuf lagopèdes alpins, bien installés sur la roche. Leur plumage commence déjà à prendre cette teinte immaculée qui leur permettra de se camoufler dans les paysages enneigés, le lagopède ne migrant pas au contraire des autres oiseaux venant ici de manière saisonnière. Après cette sortie dans les lumières du soir éclairant les pics effilés des Alpes de Stauning, nous rentrons à bord, où le temps est à la détente et aux partages sur cette journée en riche en belles explorations. Le Grand Explorer reprend la mer pour notre prochaine destination : le Scoresbysund.
Aujourd’hui, face aux conditions météorologiques défavorables annoncées pour notre retour en Islande, notre équipe d’expédition, en accord avec le commandant, a pris la décision stratégique de faire route vers le Scoresby Sund. Ce choix judicieux vise à garantir une traversée plus calme en nous abritant dans ce gigantesque fjord de la côte est du Groenland. Le Grand Explorer a ainsi passé la journée en navigation, tandis que la mer, de plus en plus agitée, a incité certains à rester à l’abri dans leurs cabines. Le déjeuner, pris dans une ambiance conviviale, la mer s’étant calmée a été suivi d’une projection l’après-midi : un documentaire biographique consacré au commandant Charcot, grande figure française de l’exploration polaire. En fin de journée, Rémi nous a captivés avec une conférence passionnante sur les Vikings, offrant un éclairage riche sur la vie et les voyages de ces peuples du Nord. En soirée, le tangage s’est progressivement apaisé ; nous sommes désormais à l’intérieur du fjord, au cœur du théâtre de nos prochaines explorations.
Ce matin, sous un ciel bas et chargé, la pluie s’invite dès les premières lueurs, apportant avec elle une atmosphère feutrée à nos opérations matinales. Malgré les conditions peu engageantes, un petit groupe motivé se rassemble pour une sortie en zodiac, tandis que les autres choisissent de rester au sec à bord du Grand Explorer, bercés par le calme ambiant. Nous glissons silencieusement entre les multiples îles de l’archipel des Îles aux Ours, un véritable labyrinthe naturel de falaises escarpées et de roches acérées. Aucun ours en vue, mais le spectacle est ailleurs : les géants de glace, d’un bleu azur presque irréel, tranchent avec les tons sombres des falaises, offrant un contraste saisissant. La pluie, désormais plus insistante, martèle la surface de l’eau et pénètre nos vêtements, le froid s’immisce peu à peu dans nos corps. Il est temps de rebrousser chemin. Sur le retour, comme une apparition silencieuse, un bœuf musqué se tient là, majestueux sur son promontoire, figé sous le déluge. Une dernière image puissante, comme un salut muet, avant de regagner la chaleur du navire.
L’après-midi se déroule à bord du navire, alors que la pluie redouble d’intensité, rendant toute sortie en extérieur impossible. À l’abri dans le confort du salon, nous retrouvons Élodie, notre géologue passionnée, qui nous plonge dans les profondeurs du temps à travers une conférence captivante sur l’histoire géologique du Groenland. Pendant que le navire reste ancré dans le calme paisible du fjord, certains profitent d’un moment de détente bien mérité : le jacuzzi extérieur laisse échapper des volutes de vapeur dans l’air froid, tandis que le sauna diffuse une chaleur réconfortante, contrastant avec le climat rude qui nous entoure. En fin de journée, un documentaire saisissant nous est proposé, dévoilant l’existence d’une base militaire secrète construite au Groenland pendant la guerre froide. Ce récit, à la fois fascinant et inquiétant, nous éclaire sur les enjeux géopolitiques de cette région stratégique, à la croisée des ambitions passées et actuelles. Alors que la nuit s’installe, nous levons l’ancre pour entamer notre traversée du détroit du Danemark, cap sur Akureyri, en Islande, notre prochaine escale.
Les côtes basaltiques de Volquart Boons se détachent de la brume matinale, leurs strates régulières de laves accumulées pendant des millions d’années se dessinant sous la neige fraîche tombée ces derniers jours. Le Grand Explorer parcourt les derniers milles nautiques dans le Scoresbysund avant de gagner la mer du Groenland en direction d’Akureyri, notre port d’arrivée en Islande. Les nuages sont encore bien présents, donnant des allures de forteresses mystérieuses aux nombreux icebergs géants que nous croisons sur notre chemin.
L’embouchure du plus grand fjord du monde se profile, et alors que nous retrouvons la mer ouverte avec sa houle de travers, c’est avec un pincement au cœur que nous disons au revoir à ces côtes de l’Est du Groenland qui nous ont tant offert. Ses paysages, ses ambiances, sa faune et sa flore uniques, tant de souvenirs mémorables inscrits dans nos yeux, notre cœur et nos appareils photo !
Le début de la traversée impose un rythme sportif, et chacun s’occupe suivant son degré de tolérance aux éléments : repos, tri des images souvenirs ou encore observation des oiseaux marins qui se font de plus en plus nombreux à mesure que nous nous éloignons des côtes. Les fulmars boréals avec leurs ailes profilées pour planer nous offrent un spectacle magnifique. De la famille des Procellariidaes, ce cousin des albatros impressionné par son agilité à voler à fleur d’eau, se faufilant entre les vagues qu’il semble effleurer de la pointe de ses ailes grises. Utilisant les vents créés par l’avancement du navire, ils sont souvent si près que nous pouvons observer à loisir leur narine tubulaire typique, leur servant à éliminer l’excès de sel issu de leur alimentation. Plus loin, des mouettes tridactyles juvéniles volent en groupes, se distinguant par leurs battements d’ailes plus rapides, leurs ailes en partie colorées de noir, et leur tête blanche tachetée de la même couleur foncée. Ce ballet majestueux est sublimé par les derniers mastodontes de glace qui ponctuent notre chemin, ces icebergs aux dimensions surréalistes, gardiens des eaux arctiques. Le soleil est désormais de la partie et nous accompagne pendant toute l’après-midi.
La mer est toujours remuante mais le navire avance à bonne allure. Les yeux sont pointés sur l’étendue immense qui s’étend maintenant devant nous, dans l’espoir de voir quelques signes de mammifères marins. Nul souffle à l’horizon entre les gerbes d’écume. Les plus courageux gardent un œil sur la mer alors que d’autres prennent du repos, les mouvements du navire fatiguant les corps et les esprits.
En fin de journée, la projection du film « La tente rouge » est proposée au salon. Ce film de 1969 retrace l’expédition menée en 1928 par le général Umberto Nobile à bord du dirigeable « Italia » pour atteindre le pôle Nord et y établir une colonie permanente au nom de l’Italie fasciste de Mussolini, qui finit par s’écraser sur la banquise. L’accident fut la plus grande mobilisation de forces de secours connue en Arctique, déclenchant un effort de sauvetage international qui a mobilisé 18 navires, 21 avions et plus de 1 500 sauveteurs pendant plusieurs semaines. Le célèbre explorateur polaire Roald Amundsen, qui avait atteint le Pôle Nord deux ans plus tôt avec Nobile à bord du dirigeable »Norge » au nom de la Norvège, répondit à l’appel pour secourir son ami et collègue Finn Malmgren membre de l’expédition, mais l’avion qui le transportait avec 5 autres personnes disparut en route vers le Svalbard. Cette tragédie fait de cette expédition l’une des plus célèbres et des plus marquantes de l’exploration polaire.
Après cette pause historiques, la fin de journée est amorcée, et les couleurs orangées montrent le déclin de plus en plus prononcée de l’astreinte solaire. Nous descendons en latitude et perdons chaque jour de nombreuses minutes de lumière. La soirée se passe dans la convivialité, le partage et un plus grand confort grâce aux conditions de mer plus apaisées. Malgré tout, le repos est de mise, car encore une journée de navigation nous attend avant de retrouver la terre ferme en terres islandaises.
La navigation se poursuit doucement à notre réveil, bercée par une houle nocturne désormais atténuée mais toujours présente, comme une dernière caresse de l’océan. Le petit déjeuner se partage dans une ambiance sereine, chacun présent malgré la fatigue accumulée, alors qu’un pâle éclat de lumière perce timidement le brouillard matinal. Soudain, l’excitation monte : quelques dauphins, probablement des lagenorinques, surgissent furtivement et viennent jouer avec la proue du navire. Trop rapides pour être identifiés avec certitude, ils laissent derrière eux une impression magique, presque irréelle. La matinée se poursuit avec une série de reportages passionnants sur les grands prédateurs marins : leur intelligence collective, leurs stratégies de chasse élaborées et leurs étonnantes capacités d’adaptation face aux bouleversements climatiques nous captivent. L’après-midi, tandis que la houle s’apaise peu à peu, nous approchons des côtes islandaises. Élodie, avec sa passion communicative, nous offre une conférence remarquable sur cette île de feu et de glace, dont l’histoire, des premières colonies vikings jusqu’à aujourd’hui, fascine tout l’auditoire. Puis, la mer devient d’un calme parfait : nous pénétrons dans le fjord d’Akureyri. En fin de journée, les festivités de la soirée d’Au Revoir commencent. Rémi, notre chef d’expédition, retrace avec émotion notre itinéraire sur une carte interactive, ravivant en chacun les souvenirs précieux du voyage. Sa projection de photos animalières, prises au fil des jours, suscite émerveillement et gratitude. Le commandant, dans un geste élégant, vient trinquer une dernière fois avec nous. La soirée se poursuit dans la convivialité, entre éclats de rire et partages d’anecdotes, comme pour prolonger encore un peu la magie de cette aventure hors du temps à bord du Grand Explorer.
Aujourd’hui marque la fin de cette belle aventure. Tôt ce matin, nous quittons le Grand Explorer, encore imprégnés des souvenirs partagés à bord. Le petit village d’Akureyri s’éveille doucement sous un ciel bas et chargé, fidèle à l’atmosphère typique de l’Islande. Un court vol de 45 minutes nous conduit à Reykjavik, où un taxi nous emmène jusqu’à notre hôtel, tout proche de l’aéroport international. L’après-midi, baignée d’une lumière inattendue, nous offre une dernière parenthèse : une marche paisible le long de la côte sur la péninsule de Reykjanes, bercés par le vent et les embruns. Le soir venu, nous partageons notre dernier dîner, un moment simple et chaleureux, empreint de rires, de souvenirs et de gratitude. Demain, chacun repartira vers son quotidien, mais ce voyage, lui, restera vivant en nous, comme une parenthèse inoubliable suspendue entre ciel, mer et glaces du grand nord de l’Arctique, le Groenland laissera une trace indélébile dans nos mémoires.
Suivez nos voyages en cours, grâce aux carnets de voyages rédigés par nos guides.
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