Si le climat est rude durant l’hiver boreal au Spitzberg, 3 mammifères terrestres ont réussi à y survivre et à perpétuer leur descendance. Pourtant, l’ours polaire, grand souverain de ces lieux, le renard polaire et le renne du Svalbard ont 3 modes de vie bien différents. Découvrez ces 3 mammifères merveilleux foulant avec bravoure les terres gelées du Svalbard…

L’ours blanc – ursus maritimus

Ours polaire Spitzberg
© Romain Blatrix, passager et photographe amateur

L’ours polaire, Seigneur de l’Arctique

Sans autre ennemi que l’homme, l’ours polaire, grand souverain des terres arctiques, se trouve élevé au rang de superprédateur, tout en haut de la chaîne alimentaire. Très bon nageur, il vit surtout en bordure de la banquise et sur les glaces dérivantes ; mais on peut le rencontrer souvent à terre, été comme hiver. Très mobile, il peut couvrir jusqu’à 1000 kilomètres de distance au cours de sa migration annuelle.
Sur la façade ouest du Spitzberg, des ours isolés sont observés plusieurs fois par an. Ce sont souvent des ours qui se sont fait surprendre par une débâcle précoce ou qui dévient de leur itinéraire de migration. Par contre, sur la côte est du Spitzberg et surtout sur les îles à l’est, ils sont plus nombreux. Une route de migration « classique » remonte la côte est depuis la pointe sud jusqu’à la hauteur de Longyearbyen, puis continue vers l’île de Barents.

OUrs banquise

Les femelles mettent bas pour beaucoup sur l’Île Edge (Edgeøya) ou la Terre du Roi Charles (Kong Karls Land). La naissance (de 1 à 3 oursons, la plupart du temps 2) a lieu en décembre dans une tanière creusée dans une congère. La femelle en sort en mars-avril. Les jeunes resteront en sa compagnie deux à trois ans avant de la quitter. La maturité sexuelle est atteinte vers 5 ans.

Au début des années 80, la population était, estime-t-on, de 3000 individus sur l’archipel norvégien, ou de 5000 si l’on inclut l’ensemble des terres voisines (François-Joseph, Nouvelle-Zemble) et le Nord-Est du Groenland. Les Inuit l’appellent pisugtooq, l’éternel vagabond… Il peut attaquer l’homme, mais un tel comportement agressif est le plus souvent dû à l’ignorance, ce qui peut, dans ce milieu extrême, se terminer en tragédie. Il est donc préférable de connaître les meurs et habitudes du seigneur des glaces, du roi de la banquise, véritable symbole de l’Arctique. Car, non, il n’y a pas d’ours blanc en Antarctique…

Ours polaire et ourson

Ours polaire : ses caractéristiques

L’ours polaire est parfaitement adapté au froid et à la neige. Sa couleur, immaculée en hiver mais plus jaune en été, l’aide bien entendu à se fondre dans le paysage pour surprendre ses proies. Mais sous la fourrure, surprise : la peau est noire ; une particularité qui permet de mieux conserver la chaleur que canalisent les poils blancs et creux jusqu’au corps (un corps noir absorbe en effet davantage de chaleur incidente qu’un corps blanc ; en outre, l’absence de protubérances (petites oreilles, queue courte, etc.) de même qu’une forme ramassée limitent encore les déperditions de chaleur.

Quand il a trop chaud, par exemple après une course trop rapide, l’animal doit se rafraîchir en haletant, en léchant de la neige ou en nageant dans l’eau froide. Enfin, de larges pattes permettent à l’ours blanc de se déplacer sur la neige ou la glace et une épaisse couche de graisse le protège également du froid.

Les ours polaires mâles du Svalbard pèsent en moyenne 400 à 500 kg, peuvent atteindre 700 kg et mesurent de 1,80 à 2,60 mètres de long ; les femelles sont plus petites et peuvent peser de 150 à 350 kg. (Record pour un mâle sur l’île de Hopen en 1995 : 850 kg).

Mature vers 4 ou 5 ans, l’ours polaire est un solitaire. Excepté au moment de l’accouplement, en avril-mai. Une fois fécondé, l’ovule voit sa maturation suspendue et le développement de l’embryon est différé jusqu’en septembre-octobre, un retard programmé qui va permettre au futur petit de naître à la bonne saison; une adaptation physiologique partagée par des mammifères marins, parmi lesquels l’ours polaire se voit parfois classé tant il est adapté à la vie aquatique.

À la fin de l’automne, la femelle creuse une tanière dans une congère pour passer l’hiver et mettre au monde ses petits, d’où elle ressortira après 4 à 6 mois de jeûne. Ses oursons, souvent des jumeaux de 500 g à la naissance en décembre, pèseront alors 10 kg, grâce au lait de la femelle qui contient 40% de matières grasses. Ils demeureront près de leur mère pendant deux ans et demi, s’ils réussissent à survivre dans ce milieu polaire hostile. On pense qu’une femelle met bas tous les trois ans et peut avoir 6 portées pendant sa vie.

Alimentation et habitat

L’ours polaire est un carnivore, le plus gros du monde, et n’a aucun prédateur, à part l’homme : il règne donc en maître sur son territoire. Mais il vit dans un environnement où la nourriture peut se faire rare. Il a une mauvaise vue, mais ce handicap est largement compensé par un odorat très développé qui lui permet de localiser ses proies à des kilomètres de distance. En outre, il est d’un naturel excessivement curieux et explore tout ce qui est nouveau pour lui ; une fois satisfait, en général, il s’en va.

Ours polaire Spitzberg
Un ours polaire peut se nourrir de n’importe quoi, y compris de mousses, d’algues, d’oeufs ou de détritus, mais son régime alimentaire est basé essentiellement sur le phoque, et pour l’abattre, en général d’un coup de patte mortel, il sait l’attendre à la sortie du trou de respiration qu’il a creusé dans la banquise. On estime qu’à raison de plus d’un phoque par semaine, chaque ours mangerait ainsi 50 à 70 phoques par an ; ce qui lui donne une place capitale dans l’écosystème arctique. En revanche, il s’attaque rarement aux rennes.

L’ours polaire est aussi bon nageur que marcheur et, à terre, son allure est comparable à celle d’un homme à pied ; il va l’amble et pose ses pattes arrière à l’emplacement de ses pattes avant. Dans l’eau, il nage avec ses pattes avant, celles de derrière lui servant à se diriger. Il est capable de nager pendant des heures sans se fatiguer, de traverser un fjord et on l’a déjà surpris en pleine mer, à plus de 100 km de toute terre et de toute glace.

Plusieurs aires géographiques arctiques sont occupées par les ours blancs, et ceux du Svalbard vont du Groenland à la Nouvelle-Zemble. Aujourd’hui, il est possible d’étudier leurs déplacements en fixant, après les avoir endormis, un collier émetteur sur certains individus et en les suivant par satellite ; un système qui peut fonctionner pendant deux ans. Sauf en période de reproduction, les ours demeurent très liés à la banquise pour chasser le phoque et vont jusqu’en limite de pack, où les eaux sont les plus riches ; mais à la fonte, certains individus se font piéger et restent parfois prisonniers de terres isolées, où ils doivent attendre l’hiver suivant pour les quitter.

Ours Polaire nage gros plan

L’extension des glaces guidant leur grande migration annuelle, ce sont donc les eaux polaires de l’est de l’archipel svalbardien qui abritent le plus d’ours. Au Svalbard, les îles de la Terre du Roi Charles (Kong Karls Land) ont la réputation d’être la plus grande nurserie de l’Arctique européen ; la chasse y est interdite depuis 1939.

L’ours polaire : une espèce protégée 

La première conférence internationale sur les ours polaires s’est tenue en Alaska en 1965. Depuis 1973, ces animaux sont entièrement protégés sur le territoire norvégien. Bien au-delà de l’époque héroïque des trappeurs, les chasses à l’ours faisaient des centaines de victimes (jusqu’à 100 par hiver pour un chasseur, grâce à des fusils à appât) ; et de véritables safaris ont été organisés jusqu’au milieu des années 60, où rien qu’au Svalbard on tuait en moyenne 300 ours par an, avec un triste record de 515 ours pour l’année 1969-70. On a estimé qu’à cette époque il ne restait que 2000 individus maximum au Svalbard.

Un accord international, respectant toutefois les coutumes indigènes locales lorsque c’est nécessaire, protège les ours blancs ainsi que leur habitat.
Et leur population, qui se répartit tout autour de l’Océan Arctique, formant toutefois des groupes bien délimités, serait passée de 5 000 à plus de 20 000 individus dans tout l’Arctique.
Mais dans leur sang et dans leur graisse se concentrent les polluants (PCB) rejetés par nos industries… L’autre grande menace est le réchauffement climatique qui pèse sur son habitat et a pour conséquence une réduction de son espace vital.

Le renard arctique – Alopex lagopus

Le renard arctique ou renard polaire, se trouve sur la grande majorité de l’archipel du Svalbard. Ce petit mammifère à la fourrure immaculée en hiver a été longtemps l’objet de convoitises et fut « trappé » pendant deux siècles. Le piège à renard se composait alors d’un cadre en bois lesté de lourdes pierres et soutenu par un frêle assemblage sous lequel était fixé un appât. En tirant sur celui-ci, le renard faisait tomber le cadre sur lui. De cette façon, la fourrure restait intacte… Malgré cette chasse intensive pendant des siècles, la population du Svalbard est stable même si le petit animal peut être porteur de la rage et de l’échinococcose.

97% de la population est composée de renards blancs, les 3% restants sont des renards bleus. Contrairement au renard blanc, ce dernier ne change pas de couleur au cours de l’année et son pelage est variable selon les individus, du gris bleu au brun sombre.

Renard polaire

 

Le renard arctique est plus petit que le renard roux de nos campagnes, plus court sur pattes, et pèse jusqu’à 4 ou 5 kg. Sa fourrure épaisse et dense est d’un blanc immaculé en hiver et d’un brun plus ou moins foncé en été, la mue s’opérant de mai à juillet, puis de septembre à décembre. Sa petite taille, ses petites oreilles et son pelage extrêmement isolant sont ses meilleures protections contre le froid.

Les renards sont extrêmement fidèles, si bien qu’un couple est formé pour la vie. L’accouplement a lieu en mars et la naissance, en moyenne 5 ou 6 renardeaux par portée, jusqu’à une dizaine les années favorables, en mai-juin dans un terrier creusé dans le sol ou sous des dalles rocheuses. L’espérance de vie du renard polaire est de 14 ans. La population de renards polaires au Svalbard varie d’une année à l’autre suivant les possibilités de nourriture, principalement les oeufs et poussins des oiseaux nicheurs sous les falaises côtières ou dans la toundra car les petits rongeurs sont absents. L’hiver, il peut également se nourrir de lagopèdes, de charognes ou de ses réserves enterrées. Le renard polaire est un opportuniste : on le trouve souvent en compagnie des ours dont il profite des restes.

Renard arctique

En croisière au Svalbard, il n’est pas rare d’observer le petit mammifère dans les falaises où nichent les oiseaux, comme celles d’Alkefjellet où se retrouvent tous les étés, des centaines de milliers de guillemots de Brünnich. Un garde-manger idéal pour le renard polaire…

Le renne du Svalbard – Rangifer tarandus platyrhynchus

Ce mammifère ongulé à doigts pairs est de la même espèce que les caribous nord-américains et proche des cerfs. Fourrure épaisse, corps ramassé, larges sabots : le renne du Svalbard est une sous espèce parfaitement adaptée au climat arctique. Il existe au Svalbard depuis des millénaires. Ses ancêtres sont probablement arrivés ici à la fin de la dernière glaciation et ont évolué indépendamment de leurs cousins eurasiatiques. C’est la plus petite espèce de renne, avec la caribou de Peary que l’on rencontre à des latitudes équivalentes dans l’archipel nord-canadien. Contrairement aux espèces continentales, il ne vit pas en grands troupeaux, ne migre pratiquement pas, est plus court sur pattes et a une fourrure plus épaisse.

Un mâle peut peser jusqu’à 90 kg en automne pour 60 kg en hiver (70 et 50 kg pour les femelles). Sa fourrure est de couleur brun-clair l’été et presque blanche l’hiver. Ses bois poussent au printemps et tombent en hiver. En juin a lieu la naissance d’un seul petit.

Rennes Spitzberg

La population de rennes a été presque totalement massacrée par la chasse avant 1920. Depuis leur protection décidée en 1925, leur nombre a crû jusqu’à environ 10 à 12 000 têtes. Les populations des différentes régions sont relativement indépendantes et restent sur le même territoire. Dans la région de Ny Ålesund où l’espèce avait totalement disparu, 15 rennes ont été réintroduits en 1978. Onze ans plus tard, il y en avait environ 200. Globalement la population suit de légères variations d’origine naturelle et se limite selon les possibilités de nourriture, surtout en hier, quand l’accès à la végétation est problématique. De plus, des barrières naturelles (glaciers, chaînes de montagne, fjords) limitent la migration d’une région à l’autre.

Depuis 1983, une chasse limitée est autorisée. Malgré cela le renne n’est pas très craintif, surtout en été et c’est sans aucun doute le mammifère le plus facile à observer au Spitzberg, notamment aux alentours de Ny Ålesund ou de Longyearbyen. Avec sa mauvaise vue, il s’approche souvent jusqu’à une vingtaine de mètres, voire moins, sous le vent, pour identifier l’intrus grâce à son odorat. Par contre, les femelles avec leurs jeunes restent plus distantes.
C’est dans l’Isfjord et le Nordenskjöld Land que vivent la plupart des animaux mais il existe aussi des groupes isolés dans les îles de l’Est comme Edgeøya et Barentsøya et dans le Nord comme sur Reinsdyrflya.

Rennes Spitzberg

Un absent : le lemming

Il n’y a pas de lemmings au Svalbard et par conséquent pas d’oiseaux de proie comme la chouette harfang ou le faucon gerfaut. Ce micro-mammifère, dont la population connaît un cycle de densité extrêmement variable d’environ 4 ans, n’a jamais rejoint le Spitzberg dont la position est trop insulaire.

Dans la région située entre Grumantbyen et Colesbukta, il existe le campagnol des champs (microtus rossiaemeridionalis), dont la population connaît une densité très variable. Arrivé accidentellement à bord de bateaux russes entre 1920 et 1960, on l’observe régulièrement à Longyearbyen et depuis 1989 il est localisé et étroitement surveillé, car porteur du parasite Echinococcus multilocularis, transmissible à l’homme.

Introductions et disparitions

En 1929, 17 jeunes boeufs musqués du Groenland (Ovibos moschatus) ont été introduits au Spitzberg à Hjorthamn dans l’Adventford en face de Longyearbyen et en 1959 on en comptait une soixantaine. Malheureusement, la compétition alimentaire avec les rennes, les hivers doux et humides et sans doute la nature accidentée et glissante des terrains de pâture ont eu raison de ce petit troupeau. La dernière observation date de 1985 avant sa disparition complète l’année suivante.

Dans la même région, trente lièvres arctiques (Lepus arcticus), originaires du Groenland et du Nord de la Norvège, furent introduits au début des années 30, mais cette petite population était presque exterminée au moment de la guerre. Néanmoins cette espèce aurait été observée jusque dans les années 70, avant de disparaître complètement elle aussi.

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