Pour cette seconde chronique de la série « histoire de plancton », le magazine de Grands Espaces vous invite à regarder les méduses d’un autre œil. Bien qu’elles soient perçues comme nuisibles et dangereuses, ces créatures aux formes étranges jouent un rôle central dans l’équilibre des écosystèmes marins. Elles nous rendent même un certain nombre de « services écologiques ».
Une fois de plus, l’Arctique risque de vous étonner car on trouve dans ses eaux glacées toute une diversité de méduses, y compris la plus grande au monde : la méduse crinière de lion.

Qu’est-ce qu’une méduse ?

L’apparence d’une méduse vous est sans doute familière : un corps gélatineux en forme de cloche généralement prolongé par des bras et de longs tentacules. Cependant, l’animal prend au cours de sa vie diverses formes, notamment celle d’un polype vivant fixé au fond marin. Ce polype, plus difficile à observer et donc moins connu du grand public que la forme nageuse, devrait pourtant vous rappeler les anémones ou encore certains coraux. Ce n’est pas un hasard car méduses, anémones et coraux font partie d’un même groupe taxonomique : les cnidaires.


Le nom « cnidaire » vient du grec ancien κνίδη (knidē) qui signifie « ortie, urticant ». Chaque tentacule de méduse porte en effet plusieurs millions des cellules urticantes prêtes à libérer leur venin en cas de besoin. Ces cellules ont une morphologie très particulière : elles renferment chacune une sorte de petit harpon attaché par un filament urticant. Ces deux structures sont propulsées hors de la cellule au contact d’une proie ou d’un prédateur, causant une multitude de micro-piqûres, elles-mêmes causant la paralysie voire la mort de la victime.

Malgré leur statut d’animaux planctoniques et leur air amorphe, les méduses auraient un mécanisme de nage plus efficace et proportionnellement moins coûteux en énergie que tout autre animal marin. Des scientifiques ont également observés chez certaines espèces des déplacements orientés, coordonnés et des comportements sociaux. Pas si étonnant cependant, car les méduses évoluent dans les océans depuis environ 650 millions d’années, bien avant l’apparition des requins ou encore des mammifères marins. Plusieurs milliers d’espèces peuplent aujourd’hui les cinq bassins océaniques de la planète, de la surface aux grandes profondeurs.

Trouve-t-on des méduses en milieu arctique ?

Bien sûr ! On trouve dans les eaux arctiques environ 70 espèces de méduses, de tailles, de formes et de comportements variés. La plus connue d’entre elles est certainement la méduse crinière de lion ou cyanée capillaire puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, de la plus grande méduse au monde. Son diamètre peut varier de 50 cm à 2 m tandis que ses fins tentacules peuvent mesurer jusqu’à 30 m de long (le plus grand spécimen rapporté mesurait 2,4 m de diamètre et 36,5 m de long). Elle concurrence et dépasse ainsi la baleine bleue, dont le plus grand spécimen connu mesurait 29,9 m.
Cette espèce fréquente notamment les eaux froides de l’Arctique et du Pacifique, mais on la retrouve jusqu’en mer du Nord ainsi que le long de la côte est nord-américaine. Elle s’aventure rarement à de grandes profondeurs et apprécie les eaux de surfaces riches en plancton. Cela permet de l’observer régulièrement lors de nos voyages en Arctique, seule ou en groupes de plusieurs dizaines à centaines d’individus.

Méduse Croisière Spitzberg
Comme la majorité des méduses, la crinière de lion a une croissance rapide et une durée de vie courte. La phase planctonique débute au début du printemps, les jeunes arrivent à maturité en quelques mois et meurent à la fin de l’automne, peu après la reproduction. Cependant, certaines espèces pourraient vivre beaucoup plus longtemps, comme la méduse casquée, qu’on retrouve dans les eaux profondes des régions nordiques, qui pourrait vivre une trentaine d’années.

On retrouve aux côtés de ces « vraies méduses » les hydroméduses qui forment le plus grand groupe parmi les cnidaires et sont généralement plus petites (de quelques millimètres à quelques centimètres seulement à leur taille adulte). Dans leur phase planctonique, elles ressemblent à des clochettes de verre soufflé aux ornements les plus délicats.

Enfin, les eaux arctiques accueillent bien d’autres organismes « gélatineux » (c’est le terme consacré) à ne pas confondre avec les méduses, comme les siphonophores ou les cténophores. Ces derniers peuvent être particulièrement abondants durant le bloom zooplanctonique d’été. Lors des journées ensoleillées, ces cténophores peuvent laisser voir des reflets de lumières multicolores créés à la surface de leur corps par diffraction.

Sont-elles en train d’envahir les océans ?

On observe en effet dans certaines régions du globe une augmentation de la fréquence et de l’importance des blooms de méduses. Les scientifiques restent prudents sur les causes d’une telle augmentation car il y a de nombreuses lacunes dans notre connaissance des méduses et de leurs traits de vie. Cependant, plusieurs facteurs d’origine humaine sont sérieusement pointés du doigt, tels que les changements climatiques, la pollution des eaux marines ou encore la surpêche. Concrètement, le réchauffement des eaux de surface se manifeste par une augmentation du taux de reproduction. La surpêche participe quant à elle à la disparition des principaux prédateurs et compétiteurs des méduses.

Enfin, certains polluants chimiques mènent à une augmentation de la turbidité des eaux qui défavorise les prédateurs utilisant leur vue pour chasser comme les poissons, en favorisant les méduses qui, elles, privilégient le toucher.
La région arctique n’est pas épargnée puisqu’elle est à la fois l’une des plus touchées par les changements climatiques, le déversoir de tous les polluants circulant autour de la planète et une zone de pêche en pleine expansion. Ainsi, une augmentation de la masse de plancton gélatineux, incluant méduses, cténophores et bien d’autres, a été notée dans le Kongsfjord, au Spitzberg, qui est l’un des systèmes de fjords arctiques les mieux surveillés. Depuis 2014, la méduse casquée est également de plus en plus souvent observée dans le haut Arctique, laissant penser que sa distribution s’étend vers ces latitudes.

Periphylla periphylla - méduse

Peut-on les exploiter ?

Même si l’augmentation de l’abondance des méduses peut être fortement nuisible aux pêcheries, allant jusqu’à remplacer des stocks de poissons entiers, elle peut également représenter de nouvelles opportunités. En effet, la pêche et la consommation de méduses ont augmenté au cours des dernières décennies, notamment en Asie. Les prises annuelles mondiales représentaient en 2011 plus de 400 000 tonnes, dépassant ainsi les captures de nombreuses pêcheries comme celle du homard.
Cependant, il ne faut pas oublier que les méduses ne sont pas que nuisibles aux pêcheries mais peuvent au contraire aider au maintien des stocks. Certaines méduses peuvent servir de refuge à d’autres espèces, notamment des larves de poissons ou de crustacés d’intérêt commercial qui, autrement, ne seraient pas capables de se développer. La crinière de lion est ainsi régulièrement observée accompagnée de juvéniles de maquereau ou de morue.

Tout comme les copépodes, les méduses fournissent à nos sociétés bien d’autres « services écologiques ». Citons parmi ceux-ci, leur contribution aux progrès de la médecine avec deux prix Nobel décernés en 1913 et en 2008 pour des travaux reposant sur l’étude de méduses. Ces travaux ont respectivement permis de poser des bases de la compréhension de l’anaphylaxie (une réaction allergique exacerbée) et de développer un marqueur moléculaire luminescent aujourd’hui largement utilisé dans la recherche biomédicale.

Article rédigé par Anaïd Gouveneaux, guide Grands Espaces et docteur en biologie marine

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